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Le blog de pcfmanteslajolie

Bretagne : quand des élus font appel à des médecins cubains pour sauver l’hôpital public

26 Décembre 2024, 08:13am

Publié par pcfmanteslajolie

À Guingamp, dont l’hôpital est confronté à une grave pénurie de docteurs, un élu a décidé de faire appel aux praticiens que Cuba dépêche aux pays qui en font la demande. L’idée fait son chemin : dans les Côtes-d’Armor, 56 maires ont signé des arrêtés en ce sens. Mais tout le monde n'est pas d'accord...

Tout est parti d’un coup de gueule. Face aux déserts médicaux décidément bien implantés sur le territoire breton, pourquoi ne pas demander le renfort de médecins… cubains ? Depuis belle lurette, l’agence régionale de santé de Bretagne menace de fermer la maternité de l’hôpital de proximité de Guingamp, dans les Côtes-d’Armor. Pas assez de naissances, assure l’ARS. Et qui plus est, pas assez de sages-femmes, ni d’anesthésistes.

Une suspension des accouchements est prononcée en 2023. Six mois reconductibles… qui durent depuis dix-huit mois. Un vrai coup de massue. D’autant que c’est tout l’hôpital qui se trouve « à bout de souffle », selon les propos de son président du conseil de surveillance. Selon lui, l’établissement manque de chirurgiens, de cardiologues, de pneumologues.

Avec ses 7 000 habitants, la « petite cité de caractère » vantée par les dépliants touristiques se trouve à plus de 100 kilomètres de l’hôpital de Brest, lui-même bigrement saturé. À cela s’ajoute qu’en Bretagne, la moitié des communes se trouvent sans aucun médecin. L’agglomération de Guingamp ne compte que 5,8 généralistes pour 10 000 habitants, contre 9,6 pour la moyenne nationale. Mais les manifestations qui mobilisent une grande partie de la population pour la sauvegarde de l’hôpital public de Guingamp ne feront pas plier l’ARS.

De guerre lasse, en avril 2023, Gaël Roblin, conseiller municipal, balance cette idée saugrenue, histoire de déclencher enfin des réactions. Le militant de la gauche indépendantiste est aussi encarté à la CGT. « Plusieurs organisations au sein de ce syndicat mènent des actions de solidarité avec Cuba. J’étais au fait du travail mené par ce pays à l’international avec ses brigades de médecins. »

« En résistance pour notre maternité »

Inutile de préciser qu’on ne le prend pas d’emblée très au sérieux. Qu’à cela ne tienne. Gaël Roblin interpelle l’ambassadeur de Cuba en France via Twitter. « Alors qu’il était impossible de renouer le dialogue avec l’ARS, Otto Vaillant Frias m’a répondu dans l’heure. » Ni une ni deux, une rencontre s’organise via le coup de pouce de l’association Cuba Coopération. Le 16 février, l’ambassadeur, invité par le président de Guingamp-Paimpol Agglomération – convaincu lui aussi de la faisabilité de l’affaire –, était reçu bras ouverts à Guingamp. Il l’affirme : son pays a la capacité d’envoyer des médecins cubains.

Sur la photo qui immortalise l’événement, flotte une banderole où l’on peut lire : « en résistance pour notre maternité ». L’histoire prend une autre tournure. Ici et là, petit à petit, on commence à y croire. « La venue de l’ambassadeur de Cuba à Guingamp a permis de redonner de l’espoir », constate André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme, président du groupe d’amitié France-Cuba à l’Assemblée nationale et auteur de « Cuba, cette étoile dans la nuit ».

De son côté, Gaël Roblin rappelle que « les médecins cubains sont reconnus internationalement pour leurs compétences et leur formation. Ils sont déjà intervenus en France, notamment en Martinique et en Guadeloupe, pendant la crise du Covid. Ils sont plus de cinquante actuellement en Italie, dans la région calabraise, touchée, comme nous, par de gros problèmes d’offre médicale ». La population, soucieuse de garder un équipement de santé de proximité, adhère au projet. Tout comme l’hôpital de Guingamp.

Le chirurgien Younès Boulhaia a commencé sa carrière en Algérie, où il a exercé aux côtés de médecins cubains. « Je les ai vus bosser, ce sont des médecins confirmés », confie-t-il. Arnaud Meunier, infirmier anesthésiste, approuve. « On travaille déjà avec des médecins syriens et pas mal de médecins africains. On a bien une dizaine de nationalités sur notre hôpital. Alors pourquoi pas, demain, des médecins cubains ? »

Un plan d’urgence pour l’accès à la santé

La situation, dans tous les secteurs de la santé, est tellement catastrophique qu’il aura fallu peu de temps, finalement, pour convaincre, y compris à droite du champ politique. Plusieurs maires de Bretagne assignent l’État pour l’obliger à agir et garantir l’accès aux soins. Des communes dont les médias nationaux ne parlent jamais, loin des métropoles et de la côte atlantique, signent une à une des arrêtés. Cinquante-six à ce jour.

Les élus considèrent que le non-accès aux soins constitue une atteinte à la dignité et un trouble à l’ordre public. Ils somment l’État d’initier dans les plus brefs délais un plan d’urgence pour l’accès à la santé, garantissant des hôpitaux publics de plein exercice, qui permet de créer les véritables conditions au déploiement des personnels nécessaires, y compris en négociant des accords internationaux avec des États partenaires de la France, comme la république de Cuba.

André Chassaigne, très mobilisé dans la création de groupements hospitaliers de territoire (GHT), estime que cet engagement concret doit se conjuguer avec des actions transitoires à prendre en urgence. « C’est tout le sens de notre combat pour développer une collaboration avec Cuba, permettant l’intervention de médecins cubains dans l’attente que soient formés de nouveaux médecins en augmentant les capacités d’accueil de nos facultés de médecine et en développant les terrains de stage dans les départements où il n’existe pas de faculté. » Une mesure qui irait de pair avec celle, pour les hôpitaux, de pouvoir embaucher avec un salaire décent et titulariser des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue).

« Les médecins gagnent un Smic, au même titre que les autres Padhue »

La CGT intervient dans le débat. Les ateliers santé du Parti communiste aussi. L’agence régionale de santé, jusque-là frileuse, en vient à envisager la possibilité d’un contingent de médecins cubains et donne son feu vert. Gaël Roblin est invité partout dans les Côtes-d’Armor, et au-delà, pour exposer son idée. La sénatrice du département, le président du centre hospitalier écoutent d’une oreille attentive. Dans les Alpes-de-Haute-Provence, une vingtaine de communes demandent une copie de l’arrêté. Elles s’en inspirent, sans mentionner Cuba.

Chose prévisible, le tribunal administratif, s’il n’annule pas les arrêtés, les suspend et l’avocat du préfet refuse la conciliation. « L’accepter aurait été reconnaître la défaillance du système de santé, avance Gaël Roblin. Pour nous, même s’il y a défaite juridique, c’est une victoire politique. » Même analyse pour André Chassaigne : « Au-delà de leur dimension symbolique, que leur légalité soit contestée ou pas par le tribunal administratif, ces arrêtés seront des leviers utiles pour exiger que soient satisfaites les revendications qu’ils portent. »

Vaille que vaille, ici, on continue à y croire. « Le Code de la santé publique a permis aux médecins cubains de travailler en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane, donc c’est possible », assène Gaël Roblin. Il suffit d’une signature sur un arrêté. Celle du premier ministre. Mais l’affaire est politique. Durant le Covid, les arrêtés qui ont permis cette coopération ne mentionnaient pas Cuba dans leur texte.

Une campagne menée notamment via les États-Unis dénonce les conditions de ces médecins brigadistes, qui relèveraient de l’esclavagisme. L’élu municipal remet les pendules à l’heure : « Les praticiens qui partent en mission à l’étranger sont tous volontaires, précise-t-il. Quand on travaille avec Cuba, on ne passe pas un contrat privé, mais un contrat avec la république de Cuba. Les médecins gagnent un Smic, au même titre que les autres Padhue. »

Depuis la révolution, Cuba a fait de la santé une priorité nationale. En 1963, La Havane envoyait en Algérie sa première brigade médicale internationale composée de 55 professionnels. Depuis, l’île a étendu sa solidarité au reste du monde, en particulier en Amérique latine, en Afrique et en Asie. Plus de 600 000 missions ont ainsi été réalisées dans près de 160 pays avec la participation de plus de 325 000 professionnels de santé.

En Europe, c’est durant le Covid que l’Andorre et l’Italie ont fait appel aux professionnels cubains. Depuis 2023, la région de Calabre bénéficie de la présence de ces docteurs. Ils sont 500 au total à œuvrer dans cette région du sud de l’Italie et, par leur présence, à avoir empêché la fermeture de services et d’hôpitaux. Aujourd’hui, cette coopération médicale internationale constitue la première source de revenus de Cuba, avec plus de 7 milliards de dollars par an.

À Guingamp, tout est prêt pour recevoir les professionnels cubains

Seulement voilà, l’île traverse la pire crise depuis la « période spéciale » des années 1990. Le blocus américain, en vigueur depuis soixante-deux ans et renforcé par Trump lors de son premier mandat, fragilise considérablement l’économie cubaine et, avec elle, son système de santé. Seringues, médicaments, matériel médical… Absolument tout fait défaut.

« Ce qui montre bien que nous pouvons trouver un protocole d’accord qui soit enrichissant pour tout le monde, assure Gaël Roblin. Nous pouvons bénéficier de l’aide de médecins cubains et, de notre côté, envoyer du matériel, des médicaments, qui manquent cruellement là-bas. » À Guingamp, historiquement terre d’accueil, tout est prêt pour recevoir les professionnels cubains. « Le maire est aussi président de l’office local du logement public. Nous trouverions facilement une solution d’hébergement. » Quant à l’indispensable apprentissage du français, il est prévu par l’ambassade de Cuba.

Gaël Roblin, aujourd’hui soutenu par la population et bon nombre d’élus, entend bien poursuivre le combat, même si, en septembre, le lancement du chantier du futur hôpital a été annoncé par l’ARS, avec une ouverture prévue… dans dix ans. « Ne nous laissons pas berner par un projet immobilier sorti du chapeau », assène dans un communiqué le comité de défense de l’hôpital de Guingamp.

L’équipement rural est devenu malgré lui symbole d’un malaise national. Gaël Roblin ne le sait que trop bien : « Quand il n’y a plus de médecins généralistes, dans une région où 20 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, sans moyen de déplacement parce que les transports publics font défaut, il n’y a plus que l’hôpital. La seule lumière allumée qui reste. Qui fait face. Malgré tout, grâce à ses équipes. » Celui qui n’a jamais mis les pieds à Cuba assure qu’il s’y rendra, bientôt. Pas pour faire du tourisme. On s’en doute bien

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