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Le blog de pcfmanteslajolie

Réforme SNCF au Sénat. Votre projet de loi n’a qu’une boussole : l’ouverture à la concurrence

2 Juin 2018, 07:11am

Publié par pcfmanteslajolie

Nouveau pacte ferroviaire (question préalable) -
Par / 29 mai 2018

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au deuxième jour de la douzième séquence de grève des cheminots, nous entamons l’examen au Sénat du projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire.

Ce matin, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste a reçu les syndicats de cheminots de la SNCF, la CGT, la CFDT, l’UNSA, SUD Rail, ainsi que ceux de plusieurs pays – l’Italie, l’Espagne, le Luxembourg, l’Allemagne, la Belgique ou encore l’Angleterre.

Puis, à treize heures, nous étions présents au rassemblement de l’intersyndicale devant le Sénat, rassemblement qui montre que, à l’évidence, la mobilisation contre ce projet ne s’essouffle pas.

Que ce soit ici ou ailleurs, les cheminots ont tous un dénominateur commun : ils défendent avec détermination et courage leurs droits, leur outil de travail, et ils portent une certaine vision du service public ferroviaire.

Nous partageons cette vision fondée sur les missions d’intérêt général de l’entreprise publique et le droit à la mobilité pour tous et partout.

Il faut les entendre et ne pas balayer d’un revers de main les résultats du « vot’action » qui s’est clos la semaine dernière et qui démontre, n’en déplaise aux esprits malins, une opposition majoritaire à cette réforme.

Celle-ci n’était d’ailleurs pas inscrite dans le programme du candidat Macron, mais elle a été décidée ensuite par celui-ci, une fois élu Président de la République, réalisant ainsi un vœu cher à la droite.

Pour nous, ce sont les cheminots les premiers de cordée, ceux qui défendent ce que nous avons en commun : les services publics.

Avant d’en arriver au contenu du texte, je veux aborder une nouvelle fois la méthode, que nous jugeons contestable et dangereuse, je veux parler de cette méthode gouvernementale qui interroge par son peu de respect pour le Parlement et pour les parlementaires, mais également pour les forces sociales de notre pays, taxées d’être irresponsables lorsqu’elles exercent un droit constitutionnellement reconnu, celui de faire grève et de porter des revendications, voire de manifester.

Le message de fermeté envers les syndicats est inacceptable.

Il témoigne d’une vision autoritaire de l’exercice du pouvoir.

Si la place de chacun doit être claire, le dialogue social ne peut se résumer à des coups de menton des plus hauts responsables de l’État.

Par ailleurs, nous regrettons le choix de la commission de ne pas avoir réalisé l’audition de l’intersyndicale – j’ai bien dit « de l’intersyndicale », monsieur le rapporteur – que nous avions demandée.

Les partenaires sociaux doivent être respectés !

J’en viens maintenant au parcours de ce projet de loi, parcours pour le moins curieux. Madame la ministre, votre gouvernement, en s’appuyant sur un rapport d’expert – le rapport Spinetta –, a fait le choix de forcer le passage par la voie des ordonnances, jugées plus rapides et plus efficaces.

Votre modernité, c’est aussi cela : recentrer les pouvoirs au risque de rompre l’équilibre des pouvoirs.

Drôle de conception de la démocratie parlementaire…

En tacticien maladroit qui cherche à affirmer sa posture idéologique, ce même gouvernement a indiqué aux syndicats que, s’ils étaient constructifs, des mesures plus précises seraient directement insérées dans la loi.

C’est le cas, mais seulement sur des sujets connexes puisque, d’après le Premier ministre lui-même, sur le « dur », rien n’est négociable.

Quant à l’incessibilité, elle a été introduite, à la suite de l’engagement du Gouvernement, au travers d’un amendement du groupe La République En Marche, qui a été adopté en commission.

Toutefois, la vigilance s’impose, car, vous le savez comme moi, mes chers collègues, ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire !

(Mme la ministre sourit. – M. le rapporteur lève les bras au ciel.)

Nous aurons d’ailleurs des propositions pour renforcer cette incessibilité.

En revanche, le Gouvernement a annoncé, sans concertation, au cours de l’examen du texte, la fin du statut de cheminot pour 2020 et la filialisation du fret.

Il s’agit là d’une véritable provocation. Résultat, le texte a triplé de volume lors de son passage à l’Assemblée nationale et s’est encore épaissi après son examen par la commission du Sénat.

Nous nous retrouvons dans une situation incroyable : le texte qui nous est soumis n’a fait l’objet ni d’une étude d’impact ni d’un avis du Conseil d’État, puisque son contenu est issu très largement d’amendements du Gouvernement.

Pourtant, la portée de ces amendements est majeure.

En effet, c’est par un simple amendement que le statut de la SNCF a été transformé, ce qui ouvre la voie à sa privatisation, comme cela a été le cas pour toutes les entreprises publiques qui ont vu leur statut modifié – GDF, EDF ou France Telecom, par exemple.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Éliane Assassi. Cette méthode du Gouvernement, qui devient une habitude, est peu conforme aux règles constitutionnelles qui définissent l’exercice du pouvoir législatif par le Parlement.

Venons-en au contenu.

Nous abordons le texte avec un sentiment de déjà-vu, puisque nous avons débattu de ces enjeux lors de l’examen de la proposition de loi de notre collègue Hervé Maurey et notre ancien collègue Louis Nègre, qui était prête – faut-il le rappeler ? – depuis plusieurs mois, mais qui a été opportunément ressortie (M. le président de la commission arbore une moue dubitative.) pour signifier au Gouvernement que le Sénat refuse un passage par la voie d’ordonnances de la réforme ferroviaire.

Toutefois, il s’agit d’un refus de pure forme, car, sur le fond, les différences d’appréciation ne sont pas fondamentales.

Soyons clairs, le Gouvernement et la majorité sénatoriale partagent l’idée qu’il n’y a pas d’autre horizon que l’ouverture à la concurrence à plus ou moins brève échéance !

Nous ne partageons pas cette idée puisque, contrairement à ce que nous entendons, l’Europe laisse aux États des marges de manœuvre suffisantes pour ne pas appliquer le quatrième paquet ferroviaire voulu par vos prédécesseurs, madame la ministre, que ce soit au travers du règlement OSP – le règlement sur les obligations de service public – ou de la reconnaissance des services publics par le traité de Lisbonne.

L’Europe n’impose pas davantage le changement de statut de l’entreprise publique.

En revanche, l’Europe impose le respect de normes en matière de pollution de l’air, mais, apparemment, votre gouvernement fait son marché dans les règlements : il y a ceux qu’il décide de suivre et ceux qu’il décide de ne pas suivre. Nous en reparlerons…

Partout où la libéralisation du ferroviaire a été mise en œuvre, les conditions de transport des usagers se sont dégradées, que ce soit en raison de l’état des infrastructures, des tarifs ou encore de la sécurité.

L’Italie, l’Allemagne, le Royaume-Uni, aucun de ces pays ne peut être érigé en modèle, et vous le savez bien !

En France également, l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire a conduit à réduire encore plus sa part modale, et a justifié une gestion d’entreprise tournée vers la rentabilité, ce qui a conduit à l’abandon d’un certain nombre de dessertes.

Comme l’ensemble des textes qui nous sont présentés depuis des décennies, ce projet de loi nous semble symptomatique de l’approche désormais privilégiée lorsque l’on parle du rail, une approche purement comptable et gestionnaire d’un secteur d’activité et d’une entreprise publique que l’on voudrait faire « entrer au forceps » dans le moule libéral, paquet ferroviaire après paquet ferroviaire.

Or cela n’est pas si simple parce que, justement, nous parlons d’un secteur dont l’intérêt général résulte de trois grandes caractéristiques.

Premièrement, son réseau structure l’aménagement de notre pays et constitue sa colonne vertébrale, un atout indéniable pour la compétitivité de notre économie.

Deuxièmement, son développement constitue une alternative crédible et efficace à la route et à l’aérien pour la transition énergétique et le passage à une économie décarbonée, comme nous y appellent les accords de Paris et le Grenelle de l’environnement.

La dette environnementale n’est pas négociable et elle est bien plus lourde que la dette ferroviaire !

Troisièmement, enfin, son existence contribue à l’exercice du droit à la mobilité pour nos concitoyens.

À l’heure où, sur les réseaux d’information, tout se mesure en nanoseconde, il est nécessaire que nos concitoyens puissent, eux aussi, se déplacer facilement.

Les politiques, menées les gouvernements successifs, d’assèchement des ressources, d’endettement massif de l’opérateur et d’absence d’investissement public à la hauteur des besoins font peser un doute réel sur la viabilité du système ferroviaire et sur l’avenir du service public.

Il y a donc effectivement urgence à légiférer !

Le problème, c’est que votre projet de loi n’a qu’une boussole, l’ouverture à la concurrence, et, de facto, il n’établit aucun principe directeur en faveur d’une politique de la mobilité favorisant coopération, interconnexion et complémentarité ; il ne prévoit aucun financement nouveau.

Quant à la reprise de la dette par l’État à hauteur de 35 milliards d’euros, ce n’est pas un cadeau fait aux cheminots, c’est une stricte obligation comptable.

C’est le prix à payer pour préparer la privatisation de l’entreprise historique !

Soyons précis, une société anonyme ne peut pas être endettée à un niveau supérieur à deux fois le montant de ses fonds propres qui, pour SNCF Réseau, sont estimés à 7 milliards d’euros.

Donc, 50 milliards d’euros de dette dont on soustrait deux fois 7 milliards d’euros – 14 milliards d’euros –, cela fait 36 milliards d’euros.

Le compte est bon…

 

Je le redis, tant ce texte est transparent en la matière, le seul objectif de cette réforme est la concurrence et l’arrivée de nouveaux opérateurs qui seraient, on ne sait par quel miracle, plus performants que la SNCF, laquelle a pourtant déjà fait d’importants progrès de productivité.

Toutefois, vous connaissez l’adage, qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ; c’est exactement ce qui arrive à la SNCF et, plus largement, au système de service public ferroviaire.

Cette politique n’est pas nouvelle.

Elle se place dans la continuité de toutes les politiques menées depuis trente ans, qui créent les conditions du dépérissement du service public ferroviaire par l’instauration d’une concurrence déloyale et font du service ferroviaire un service déficitaire, sous-utilisé et sous-financé.

On connaît déjà la prochaine étape : préparer la vente à la découpe de l’opérateur public par le changement de statut et la filialisation.

Comment comprendre cette non-préservation des intérêts publics ?

Excusez-moi, mais cela ressemble à du sabotage !

Il faut en finir avec ces recettes libérales.

Nous aurons l’occasion dans le débat, via nos amendements et nos interventions sur les différents articles, d’être plus explicites sur ces sujets.

Si nous avons déposé cette motion, c’est non pas pour clore le débat, mais pour affirmer publiquement que votre réforme n’est pas bonne, madame la ministre, car, loin de moderniser et de développer le service public ferroviaire, vous préférez le livrer aux appétits du privé, qui en fera ce qu’il voudra là où cela rapporte et l’abandonnera là où cela ne rapporte pas, au nom de la rentabilité !

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