Le Parti du travail de Belgique sur la fermeture des sites sidérurgiques liégeois par Arcelor-Mittal : « Une seule solution : la nationalisation ! »
« Fermer la phase à chaud permettra de maintenir la phase à froid », entendait-on il y a un an et demi du côté des dirigeants politiques liégeois. Raté. 1 300 personnes vont directement aller à la case « chômage ». Réaction de Damien Robert, en charge du dossier sidérurgie pour le PTB.
Entretien réalisé par Jonathan Lefèvre pour Solidaires, journal du PTB, repris par http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Au total, la sidérurgie liégeoise emploie plus de 10 000 personnes. C’est une région tout entière qui dépend donc de ce secteur. L’annonce du groupe Mittal de fermer 7 lignes (sur 12) de la phase à froid a donc provoqué un séisme du côté de la Cité ardente. A noter que le magazine Forbes estime la fortune de Lakshmi Mittal à 20,7 milliards de dollars. Celui qui veut condamner des milliers de travailleurs au chômage est donc la 21e personne la plus riche du monde…
Damien Robert. J’ai eu un sentiment de dégoût et de révolte mélangé. Mes premières pensées étaient pour tous ces pères de famille qui allaient devoir expliquer à leur famille qu’ils ne savaient pas s’ils avaient encore un emploi. Et un sentiment de révolte contre ces politiciens qui ont promis qu’ils allaient tout faire pour sauver la sidérurgie alors qu’ils n’ont rien fait, si ce n’est des promesses et des faux aveux d’impuissance. Maintenant, tout le monde peut voir que les promesses ne suffisent pas.
Damien Robert. A Liège, le taux de chômage est de 20 %. L’industrie reste malgré tout le cœur de l’emploi dans la région. 10 000 travailleurs dépendent d’Arcelor de manière directe et indirecte. Et l’on ne compte pas les petits commerces qui vont aussi connaître des difficultés.
Tant qu’on ne relèvera pas le pouvoir d’achat des gens, la spirale va continuer et les fermetures vont se multiplier vu
qu’il y a de moins en moins de pouvoir d’achat. Il faut donc sauvegarder les emplois pour sauvegarder le pouvoir d’achat et faire barrage à la crise.
Damien Robert. En effet, la crise économique s’approfondit de jour en jour. Mais Mittal, quand il a décidé de la fermeture de la phase à chaud, se basait encore sur des chiffres de croissance de la production d’acier en Europe. Le premier objectif de Mittal est d’augmenter sa marge bénéficiaire et donner des retours sur investissement à deux chiffres aux actionnaires.
Les besoins en acier restent énormes partout dans le monde, rien que pour la construction. Il suffit de voir les milliers
de familles qui attendent un logement social, par exemple…
Damien Robert. Ils ont privatisé Cockerill-Sambre en 1998, soi-disant pour sauver la sidérurgie. Résultat ? Regardez aujourd’hui. Ils ont soutenu les intérêts notionnels, soi-disant pour soutenir l’emploi. Résultat ? Regardez aujourd’hui. En 2011, ils ont promis un repreneur. Il n’est jamais venu. En 2011, ils nous ont dit : « On va explorer toutes les pistes ». Aucune d’elles n’a abouti. C’est pour cela que les sidérurgistes sont nombreux à ne plus croire les promesses des politiciens traditionnels, à commencer par ceux du PS.
En ce qui concerne votre question précise, c’est une simple logique de bon sens. Sur le marché, la rentabilité économique
est un facteur important. Et le respect des outils est une garantie d’une production de qualité. Quant vous enlevez la phase à chaud et que vous faites venir les colis de Dunkerque, ça coûte
beaucoup plus cher. De plus, ça augmente la dépendance des outils du froid à un site plus éloigné. La garantie de livraison en temps et en heure sera donc moins forte. Les organisations
syndicales l’ont toujours dit. Et il n’a pas fallu longtemps pour montrer qu’elles avaient une fois de plus raison.
« OK, on a fait une loi pour sauver les banques. On va faire une loi pour sauver la sidérurgie »
Damien Robert. On attire des grandes entreprises avec des avantages fiscaux. Mais on voit le résultat. Mittal a profité au maximum des largesses de la fiscalité belge avec les intérêts notionnels et le paiement par la Région wallonne des quotas CO2, du chômage économique et de formations. Le résultat de ces cadeaux fiscaux n’est pas, contrairement à ce que dit M. Di Rupo, la création d’emplois, mais la suppression d’emplois et la destruction de l’industrie structurante de la région liégeoise. Face à ce constat, tout gouvernement un tant soit peu social dirait « OK, on a fait une loi pour sauver les banques, on va faire une loi pour sauver la sidérurgie ». Mais le PS ne veut pas faire ça, car le cœur de ses dirigeants bat beaucoup plus du côté des patrons que du côté des travailleurs.
Damien Robert. C’est du bla-bla. Comment un repreneur privé, dans la situation de crise économique actuelle, va-t-il atteindre un retour sur investissement de 15 % ? En revanche, une entreprise publique peut gérer ce genre de situation de crise, car le retour sur investissement qu’elle attend est moins important.
Un capitaliste est un capitaliste. Ils sont soumis aux mêmes règles: celles de la concurrence. Donc, ils
fonctionnent de la même manière. Ce que le PS veut, c’est racheter l’outil à Mittal et revendre l’entreprise à un géant de l’acier concurrent américain ou japonais. Cela ne change strictement
rien au problème.
Damien Robert. Si le public paie le salaire des travailleurs, l’argent qui leur est versé est réinjecté dans le circuit économique en retour. C’est une logique à contre-courant, mais elle est pourtant implacable. On voit d’ailleurs très bien le lien avec Ford. Là bas, le manque de pouvoir d’achat des travailleurs amène une baisse de ventes de voitures et donc une baisse de la production qui se traduit par une fermeture. Et cette fermeture amène quoi ? Une baisse des commandes chez ArcelorMittal à Liège. Donc, si les emplois étaient maintenus, le pouvoir d’achat et la capacité de consommer les produits industriels seraient plus grands. Nationaliser la sidérurgie, c’est sauver les emplois, mais aussi investir dans la reprise économique.
On peut se contenter d’un retour sur investissements de 2 ou 3 %, c’est toujours moins d’argent perdu pour la collectivité que 10 000 chômeurs en plus
Damien Robert. Oui. En Belgique, nous avons des exemples concrets. La Sonaca, dans l’industrie aéronautique de pointe. La FN, dans l’armement. Donc, pourquoi pas ? En Allemagne, il existe une sidérurgie intégrée avec 5 000 travailleurs qui produisent plus de 3 000 000 de tonnes par an. Cette sidérurgie a été mise sous statut public en 1998 après une lutte des travailleurs allemands. Donc, pourquoi pas chez nous ?
Il faut une loi pour exiger la mise sous statut public et exiger le rachat des sites pour un euro symbolique. Le privé
attend un retour sur investissements à deux chiffres. Mais une entreprise publique n’a pas cette « obligation ». Son premier objectif est de créer de l’emploi et, éventuellement,
faire des bénéfices. On peut se contenter d’un retour sur investissements de 2 ou 3 %, voire même dans un premier temps de -1 ou -2 %. C’est toujours moins d’argent perdu pour la
collectivité que 10 000 chômeurs en plus, qu’il va falloir payer. Et qui n’auront plus le même pouvoir d’achat.
Damien Robert. Dans les années 1970, les nationalisations protégeaient l’emploi et le pouvoir d’achat des travailleurs. C’est la privatisation qui met en danger l’emploi et le pouvoir d’achat. Je ne crois pas que Mme Rutten puisse donner un exemple d’une privatisation qui soit un succès.
Dans les années 1970, la sidérurgie liégeoise a perdu 5 milliards de francs belges (125 millions d’euros). Avec des fonds
européens et de l’argent public, elle est devenue finalement bénéficiaire en 1997. Et puis ? On l’a privatisée… En 1988, 62 % de la sidérurgie européenne était publique. En 1997, ce
chiffre est tombé à 7 %.
On a rendu ces entreprises sidérurgiques rentables dans toute l’Europe, avec l’injection de 50 milliards d’euros d’argent
public. Si on pouvait le faire pour les capitalistes dans les années 1980, pourquoi ne pourrait-on pas le faire maintenant pour les travailleurs ?
Damien Robert. Ce qui arrive aux gars de Cockerill peut arriver à tout le monde. Voyez Genk... Le combat pour l’emploi est un combat clé pour notre futur. Votre solidarité est aussi une des garanties pour faire avancer la lutte. Des actions et des manifestations vont être organisées. Rejoignez ceux de Cockerill dans leur combat pour l’emploi. Venez à ces manifs avec des délégations de soutien, avec des calicots. Propagez l’esprit de lutte autour de vous. C’est la meilleure contribution au combat.
Retrouvez la brochure Emploi, sidérurgie et reconversion dans la région liégeoisede Damien Robert ici
Pour les actions de solidarité à venir, contactez Nadia Moscufo au 0486 79 70 94
Quelques chiffres
Environ 10 000 emplois dépendent de la sidérurgie liégoise de manière directe ou indirecte
Lakshmi Mittal est à la 21e place de la liste des personnes les plus riches du monde avec une fortune 20,7 milliards de dollars
Le groupe ArcelorMittal a fait 2,9 milliards de dollars de bénéfices en 2010 au niveau mondial
ArcelorMittal Liège Upstream a versé en 2011 seulement 936 euros d’impôts sur un bénéfice de 35 millions d’euros.
Soit un taux de 0,000026 %
ArcelorMittal Finance Services Belgium a enregistré en 2010 un bénéfice d’1,394 milliard d’euros et a payé 0 euro d’impôts
Le service d’études du PTB avait calculé il y a un an que, pour 2009 et 2010, le montant des cadeaux fiscaux accordés aux filiales du groupe ArcelorMittal en Belgique s’élevait à 1,043 milliard d’euros
Chronologie
1817. Arrivée de John Cockerill. L’Anglais, fils d’un patron du textile, est envoyé en Belgique
par son père. Il fonde sa première usine à Seraing pour produire l’acier dont l’entreprise familiale a besoin pour construire ses métiers à tisser.
1981. Naissance de Cockerill-Sambre. Petit à petit, l’usine Cockerill s’agrandit. Sous
l’impulsion d’Albert Frère, la plupart des sites sidérurgiques de Liège et de Charleroi sont regroupées au sein d’une même société, Cockerill-Sambre. L’État belge achète le groupe avant de le
transmettre à la Région wallonne.
1998. Usinor prend le contrôle. La Région wallonne cède Cockerill-Sambre au groupe français
Usinor. Le Ministre-président de la Région de l’époque était Robert Collignon (PS).
2002. Création d’Arcelor. Né de la fusion d’Aceralia (Espagne), d’Arbed (Luxembourg) et d’Usinor.
Son siège social se situe à Luxembourg.
2005. Arrêt du premier haut-fourneau. Le premier haut-fourneau du site est fermé (le HF6). Il
sera rallumé en 2008, pendant trois mois, avant de s’éteindre définitivement.
2006. L'industriel indien Lakshmi Mittal arrive. La Mittal steel company lance une OPA (offre
publique d’achat hostile) sur Arcelor. La fusion des deux groupes donne naissance à ArcelorMittal. La même année, le nouveau géant prévoit la fermeture de la ligne à chaud pour l'année 2009. La
Région wallonne, encore actionnaire, ne bouge pas.
2011. Le 12 octobre, ArcelorMittal annonce la fermeture de la phase à chaud liégeoise. Le 26
octobre, 10 000 personnes manifestent devant la statue de John Cockerill, en face de la maison communale de Seraing. Le ministre wallon de l’Économie, Jean-Claude Marcourt (PS), et ses
collègues prétendent « sauver le froid en sacrifiant le chaud ».
2012. Le 19 novembre, les travailleurs rejettent une première version du plan social proposé par
la direction pour accompagner la fermeture de deux hauts fourneaux, de l’aciérie et des coulées continues sur le site de Liège.
2013. Annonce de la fermeture d’une partie de la phase à froid. Le 24 janvier, la direction du
groupe annonce la fermeture de 7 lignes (sur 12) de la phase à froid. 1 300 emplois seraient supprimés.
Et après ? Au lendemain de l’annonce, les syndicats se sont réunis et ont convenu d’une
série d’actions à Bruxelles, Namur, Luxembourg…