Alexis Tsipras rassure le journal allemand bourgeois Die Zeit : « La fin de l'euro, ce serait la fin de l'idée européenne : nous devons les défendre, peu importe le prix »
Alexis Tsipras rassure le journal allemand bourgeois Die Zeit
« La fin de l'euro, ce serait la fin de l'idée européenne : nous devons les défendre, peu importe le prix »
Alexis Tsipras, et sa formation « SYRIZA » bénéficient d'une couverture et d'une complaisance médiatique inédites pour une formation se réclamant de la « gauche radicale ». En quelques mois, elle est passée de l'insignifiance électorale (4,5% en 2009) à la place de deuxième force du pays (27%) prenant la place du PASOK discrédité.
Derrière le voile médiatique, particulièrement dense en France, quelles sont les véritables positions de celui que le système a choisi comme son meilleur adversaire ?
Laissons la parole à Tsipras interviewé par le journal centriste allemand Die Zeit. Ce n'est pas la première fois qu'il est interviewé par un média bourgeois de renommée internationale. Comme lors de son interview pour CNBC : sur l'UE, sur l'euro, sur son programme, ses références historiques et théoriques surprenantes, Tsipras parle franchement.
Intégralité de l'entretien d'Alexis Tsipras avec le journal allemand Die Zeit (sous-titres et titres à la discrétion du
traducteur)
Traduction AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/
Die Zeit: M.Tsipras, le parlement grec a adopté récemment un nouveau plan d'austérité pour la période 2013-2016, par une majorité très étroite. Le premier ministre Samaras semblait soulagé après la vote, l'Europe aussi.
Tsipras: Je crois que M.Samaras s'efforce de cacher ses véritables sentiments. En réalité, M.Samaras n'est pas soulagé. Il est dans un état de panique. Son gouvernement tri-partite comptait, après les élections de juin, sur 179 députés. Nous ne sommes que quatre mois après le scrutin. Et M.Samaras n'a pu compter que sur 153 députés. Son gouvernement ne tient qu'à un fil, et il ne tardera pas à rompre. Il va devoir appliquer son plan d'austérité, et il va être confronté à d'énormes réactions dans la société.
« Nos partenaires européens peuvent-ils avoir confiance en Samaras ? »
Le gouvernement dit avoir restauré la crédibilité de la Grèce à l'étranger. Vous êtes de votre côté tout seul sur vos positions en Europe. Avec Alexis Tsipras comme premier ministre, la Grèce serait donc isolée sur la scène internationale.
M.Samaras poursuit une ligne tout à fait erronée. Elle nous mène tout droit dans l’impasse. Une stratégie qui consiste à donner plus que ce qu'exige la Troïka sans rien entendre à retour. Ce n'est pas ce qu’avait promis Samaras pendant la campagne, entamer des renégociations avec la troïka. De quelle crédibilité jouit-il quand une dizaine de députés pro-gouvernementaux lui désobéissent, et qu'il ne bénéficie que d'une majorité aussi mince pour un vote si important ? Autrement dit : est-ce que nos partenaires européens peuvent placer leur confiance en Samaras pour mettre en œuvre cette politique ?
Apparemment, l'Europe soutient le gouvernement de Samaras
Je vois les choses différemment. J'ai de sérieux doutes sur le fait qu'il y existe un accord pour sortir de la crise entre le gouvernement et la troïka. Où voyez-vous un accord quand même Olli Rehn...
… Commissaire européen aux affaires monétaires...
… dit que le programme de la Grèce n'est pas viable ? Je doute qu'il existe un plan solide pour résoudre la crise en Grèce. Nous avons toujours dit que ce programme n'est pas réalisable. Nous disons cela indépendamment de nos différentes convictions idéologiques et politiques.
« Une politique applicable dans un pays africain, pas en Europe avec notre État de droit »
Concrètement ?
On peut prendre le programme de privatisations. A l'origine, l'objectif utopique était de tirer 50 milliards d'euros des privatisations. Maintenant, on le chiffre plutôt à 10 milliards d'euros, sur les quatre prochaines années. Soit, 2,5 milliards d'euros par an, 1,2% du PIB annuel de la Grèce. Est-ce que cela a vraiment un sens de vendre notre propriété publique ? Alors que la Grèce n'a pas d'entreprise publique d'électricité, de compagnie des eaux, d'entreprise pétrolière ? L'Allemagne dispose d'une banque d'investissement publique, nous non.
Comment voulez-vous empêcher les privatisations ?
Le marché s'en chargera. Aucun investisseur sérieux ne dépensera son argent si il sait que le temps de ce gouvernement est compté. Une telle politique aussi désastreuse est complètement inacceptable dans une démocratie bourgeoise comme celle que nous connaissons en Grèce. On pourrait mettre en œuvre cette politique dans un pays africain. Mais pas en Europe avec notre culture, celle d'un État de droit. Car il faudrait supprimer la Constitution et le Parlement pour cela.
« Nous sommes dans une opposition constructive et réaliste »
Donc vous êtes dans l'opposition frontale ?
Nous serons dans une opposition de fond constructive et réaliste.
D'autre part, des appels sont lancés à l'organisation de nouvelles élections, alors que le pays sort à peine d'un double scrutin. Comment le pays pourrait le supporter?
Nous ne l'avons pas demandé certes, mais on ne peut plus attendre. La situation sociale l'impose. Nous vivons une crise humanitaire en Grèce. Des milliers de patients atteints de cancer ne peuvent pas obtenir de médicaments, le chômage frôle les 30%, près de 60% pour les jeunes. Cela ne peut plus durer. C'est pour cela que les gouvernements tombent, pas parce qu'il y a conspiration contre eux. Le gouvernement Papandreou est tombé, puis celui de Papademos. C'est le sort qui attend le gouvernement Samaras. Permettez-moi de le dire plus clairement: c'est le FMI et la Troika la cause de l'instabilité sociale en Grèce, pas Tsipras ou SYRIZA.
« Nous avons besoin d'un Plan Marshall pour l'Europe »
La question, c'est de savoir si Tsipras premier ministre, cela serait une bonne chose pour le pays. Que feriez-vous?
Je reviendrai sur la politique d'austérité. Elle ne produit que récession, explosion de la dette et baisse des recettes fiscales. Nous avons besoins de nouvelles négociations avec nos prêteurs pour ré-examiner à la loupe les conditions des accords de prêt. Nous avons également besoin d'une généreuse réduction de la dtte de la Grèce, sur le modèle de l'Accord de Londres de 1953 sur la dette de l'Allemagne. A savoir, comme pour l'Allmagne en 1953, une clause de croissance pour le paiement de la dette restante. Nous avons également besoin d'investissements publics pour relancer l'économie et d'un nouveau plan Marshall pour l'Europe. Lorsque nous aurons fait tout cela, nous lancerons des réformes de l'Etat et de l'économie. Ce qui signifie également que vous ne pouvez pas seulement taxer les classes moyennes et les pauvres, mais que les riches doivent payer aussi.
On peut demander un « haircut » (réduction de la dette à payer). Mais Berlin refuse un nouveau « haricut » parce que cela pénaliserait le contribuable allemand.
M.Samaras a assuré fin août, lors de sa visite à Berlin avec la chancelière Merkel que la Grèce rembourserait toutes ses dettes – jusqu'au dernier euro. M.Ackermann, ancien responsable de la Deutsche Bank, a déclaré que la seule solution était un généreux « haircut ». Je vous le demande : qui vous croiriez ? Qui a raison entre les deux ? Ackermann ou Samaras ? Lequel fait une proposition dans les intérêts de la Grèce et de l'Europe ? Moi, je dis : Ackermann.
Cela ne change rien au fait que le contribuable allemand en paiera la facture.
Ce n'est pas toute la vérité. Si la Grèce fait faillite, le contribuable allemand paiera beaucoup plus. Nous pouvons avoir un débat sur les causes de la crise. Les gouvernements grecs portent assurément une lourde responsabilité, tout comme le peuple grec qui les a élus. Mais la responsabilité en incombe aussi aux Européens, qui ont été longtemps aveugles sur le cas de la Grèce.
« La fin de l'euro, ce serait la fin de l'idée européenne : nous devons la défendre, peu importe le prix »
Le reste des européens se demandent pourquoi ils devraient payer pour ces erreurs. Doit-on ?
Non. Nous devons nous asseoir autour d'une table et trouver une solution afin que nos partenaires n'aient plus à payer davantage. Si la Grèce s'effondre, ce sera pareil pour le sud de l'Europe, mais aussi pour la zone euro avec des conséquences très négatives. Ce serait la fin de l'euro. Mais les dégâts ne seraient pas uniquement économiques, mais aussi sociaux, politiques, géopolitiques. Ce serait la fin de l'idée européenne. Nous devons la défendre. Même si le prix à payer paraît exorbitant aujourd'hui.
Avant les élections de Juin, vous avez dit « L'euro n'est pas un fétiche pour nous ». Maintenant, on parle de conséquences désastreuses de la fin de l'union monétaire. Alors qu'en est-il ?
Ce que je voulais dire, c'est que ce n'est pas la monnaie qui détermine notre action politique, mais les besoins de la société. Je ne suis pas un monétariste. Nous devons servir l'idée européenne, la solidarité et la défense de la cohésion sociale. Il ne peut y avoir d'Europe unie sans démocratie ni cohésion sociale.
Pourqui avant le vote au Parlement, le groupe parlementaire de SYRIZA s'est joint à la foule qui protesterait hors du Parlement, et y a posé une banderole?
C'était une action symbolique. Nous avons voulu dresser un pont entre les gens qui expriment leur protestation contre cette politique et ceux qui siègent au Parlement.
« Nous sommes parmi les forces modérées »
N'est-ce pas faire le jeu des critiques qui vous qualifient de populistes? Ne mettez-vous pas de l'huile sur le feu, poussant le peuple à aller encore plus loin.
On n'a pas besoin de nous pour cela. Il suffit d'entendre Merkel dire que les pays avec un taux d'endettement supérieur à 80% doivent perdre leur souveraineté. Ou encore la création d'un compte spécial où les fonds ne serviraient qu'à rembourser les créanciers. Cela alimente la colère. Nous sommes parmi les forces modérées dans les manifestations.
La tête de file de la gauche allemande, Bernd Riexinger, a protesté à Athènes en octobre à vos côtés pour protester contre les mesures d'austérité. Qui en a eu l'idée?
C'est une idée commune. Le message, c'est que SYRIZA n'a rien contre le peuple allemand. Mais nous nous tournons contre une Europe allemande. Les conservateurs en rêvent, c'est le cas de Merkel en Allemagne.
Pour beaucoup, vous restez leur cauchemar.
Probablement, parce que je suis libre de tout engagement! SYRIZA ne rentre pas dans la corruption, le copinage et le népotisme. Nous n'avons de dettes envers personne. Cela fait peur à certains. SYRIZA en Grèce n'est pas une force extrémiste. Nous exprimons la volonté de la grande majorité des Grecs. Ce ne sont pas des extrémistes qui peuvent faire cela.
Jusqu'aux élections de mai, vous ne récoltiez que 5% des voix. Selon des sondages récents, SYRIZA s'est encore renforcé entre-temps. Etes-vous prêts à prendre le pouvoir?
Nous étions déjà prêts le 18 juin. Si tout n'avait pas été fait pour nous empêcher de prendre le pouvoir, on aurait épargné à la Grèce ces nouveaux plans d'austérité. Nous serions dans une bien meilleure situation que celle qui est la nôtre aujourd'hui. Le pays a perdu une opportunité. Mais SYRIZA sera bientôt aux commandes en Grèce.