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Le blog de pcfmanteslajolie

Maroc, Israël, Émirats, Égypte… Pourquoi ils espéraient la victoire du RN aux législatives

10 Juillet 2024, 06:11am

Publié par pcfmanteslajolie

Repris de "Marianne".

Avec 143 députés, le Rassemblement national (RN) n'a pas remporté assez de sièges de députés pour obtenir une majorité relative et ainsi avoir les coudées franches pour une cohabitation. Si beaucoup de pays s'inquiétaient de voir la France basculer à l'extrême droite, d'autres puissances, telles le Maroc, espéraient un tel scénario.

 

Depuis quelques années, le trinôme Maroc-Égypte-Émirats arabes unis-Israël a multiplié les signes d'affection envers l'ex-Front National (FN), devenu Rassemblement national (RN) en 2018 – qui a obtenu 143 sièges aux législatives du 7 juillet. Des liens historiques ou parfois plus récents, mais toujours opportunistes. Malgré la xénophobie assumée par certains cadres de son parti et une stratégie ciblant l'immigration d'origine maghrébine et l'islam, le RN n'est pas un refouloir pour les dictatures arabes citées, davantage intéressées par leurs intérêts particuliers que par une hypothétique cohérence idéologique et éthique.

 

LA QUESTION DU SAHARA-OCCIDENTAL

 

La monarchie marocaine a ouvert ses bras au clan Le Pen dès l'époque de Hassan II (1961-1999), père de l'actuel roi Mohammed VI. Sous son règne, le régime se durcit. Les opposants disparaissent ou sont torturés, la liberté d'expression est menacée. Hassan II s'érige pourtant en un homme raffiné, faisant mine d'avoir écarté l'islamisme du pouvoir et d'avoir enterré les griefs coloniaux avec la France. Une démarcation nette avec son voisin algérien, fraîchement émancipé, et dont l'indépendance a été perçue comme une terrible perte par les vieux cadres du FN.

 

L'extrême droite française, adoratrice de Hubert Lyautey (1854-1934), artisan de la tutelle française sur le Maroc au début du XXe siècle, se tourne alors vers le rival marocain. Il faut dire que les prises de position du nouveau souverain Hassan II lui parlent. Ce dernier se dit en effet opposé au vote des immigrés dans l'Hexagone et déclare lors d'une interview en 1993 avec la journaliste Anne Sinclair : « Les Marocains en France ne feront jamais de bons Français. »

 

Un article du journal Le Monde explique même comment Driss Basri, bras droit de Hassan II, avait couvert Jean-Marie Le Pen de cadeaux à son mariage avec sa seconde épouse Jany, en 1991. « Et quand il a rendu visite à Hassan II en 1990, c’était extraordinaire. Toute la délégation du [FN] au Parlement européen était aux Canaries. Basri nous a envoyé un avion qui nous a emmenés à Dakhla [au Sahara-occidental], puis à Rabat. L’accueil était enthousiaste, chaleureux. Nous avons vécu une semaine de fête, tout le Palais était là. C’est difficile à imaginer quand on présente le FN comme un parti raciste et xénophobe », se remémore Jean-Claude Martinez, ex-vice-président du FN entre 1985 et 2008.

 

Ce dernier, tout comme Aymeric Chauprade, ancien député européen FN et ex-conseiller géopolitique de Marine Le Pen ou encore Bernard Lugan, ancien membre du conseil scientifique du FN, œuvrent à cette bonne relation entre le Maroc et le parti d'extrême droite française.

 

De par son aversion envers le pouvoir algérien, le clan Le Pen se montre enclin en coulisse à reconnaître la souveraineté du Maroc sur le Sahara-occidental. Ce territoire longiligne de 266 000 kilomètres carrés pour 600 000 habitants est une ancienne colonie espagnole dont le sort n’a jamais été tranché après le départ de l'Espagne en 1976.

 

Depuis près d’un demi-siècle, cette vieille guerre de décolonisation oppose le royaume du Maroc aux indépendantistes de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) fondée par le Front Polisario. En dépit du droit international, Rabat exploite et contrôle illégalement près de 80 % de ce territoire et souhaite que le Sahara-occidental prenne son autonomie… mais sous son autorité.

 

ÉRIC CIOTTI À LA RESCOUSSE

 

Plus récemment, Éric Ciotti, président des Républicains nouvellement allié au RN, a entrepris l'an dernier un déplacement au Maroc avec une délégation composée notamment de Rachida Dati, maire du 7e arrondissement de Paris et désormais ministre de la Culture. Un assistant LR présent pendant le voyage nous apprend que toutes les rencontres politiques et médiatiques ont été organisées par Omar Alaoui.

 

Ce dernier est directeur Moyen-Orient d'ESL Network, entreprise de lobbying figure de la désinformation marocaine en France et puissant lobbyiste en faveur de la monarchie. « C'est même lui qui a soufflé l'idée de ce voyage à Ciotti », raconte cette même source. Omar Alaoui a pour principal client… l'ambassade marocaine en France. Curieux mélange des genres…

 

Devant des médias contrôlés par le pouvoir comme le360 – qui avait notamment propagé la rumeur d'une homosexualité prétendue d'Emmanuel Macron – ou encore le magazine Tel Quel , Éric Ciotti avait pris des positions fortes en faveur d'un Sahara-occidental appartenant au Maroc. Le député LR avait semblé réciter mot pour mot la propagande du royaume chérifien prétendant que le développement local organisé par Rabat aurait profité aux populations sahraouies administrées illégalement par le Maroc.

 

Par ailleurs, en matière d'immigration, le président des Républicains avait salué « le rôle du Maroc prenant ses responsabilités sur la migration », affirmant que le pays « subit l'immigration venue du sud du Sahara. Le Maroc est le pays du Maghreb qui exerce le mieux et avec le plus de sincérité et efficacité cette mission. »

 

Une mission menée parfois très violemment par la police marocaine qui n'hésite pas à parquer, torturer et tuer des migrants interceptés durant leur route vers les côtes méditerranéennes du pays. Les rapports des cellules locales de l'Association marocaine des droits humains (AMDH) documentent précisément la terrible gestion migratoire du royaume. Enfin, Éric Ciotti et Rachida Dati avaient dénoncé de concert une supposée emprise de l'Algérie sur le Quai d'Orsay , fustigeant la gouvernance extérieure de Macron jugée déséquilibrée en faveur d'Alger.

 

Pendant les repas avec différents ministres marocains, « l'élection présidentielle de 2027 a été évoquée avec le camp Ciotti sans pudeur », raconte cette même source. Alors en froid avec la politique macroniste, le royaume espère qu'une droite plus dure et moins attachée à un équilibre diplomatique avec l'Algérie prendra, à terme, le pouvoir. « Ils n'ont pas semblé être en désaccord ou choqués par les propos que Ciotti tenait notamment sur l'immigration ». Selon cette source, ce voyage de lobbying avait été entièrement réglé par le parti LR.

 

L'obsession de la monarchie marocaine pour le Sahara occidental est sa boussole politique, qui conditionne ses relations extérieures. Même si par bien des aspects, elle paraît contre-nature, l'entente que la monarchie entretient avec la droite dure française est une stratégie calculée.

 

OUTIL POUR CONTRER L'INFLUENCE DU QATAR

 

Israël aussi regarde en direction du RN. Une stratégie finement détaillée par le quotidien Haaretz , établissant que depuis 2010, Tel Aviv se rapproche de mouvements politiques européens d'extrême droite afin d'obtenir leur soutien à la colonisation de la Cisjordanie. Amichai Chikli, ministre des affaires étrangères, encarté au Likoud (la droite dure du Premier ministre Benyamin Netanyahou), a récemment annoncé dans Times of Israël que le « gouvernement israélien serait heureux de voir Marine le Pen présidente de la France », avant d'ajouter : « je pense que Netanyahou et moi-même sommes du même avis ».

 

Une déclaration d'amour qui va de pair avec les positions tenues par le RN sur le conflit israélo-palestinien. Jordan Bardella s'était par exemple farouchement opposé à une reconnaissance d'un État palestinien, déclarant : « Je ne dis pas que cela ne doit pas rester un horizon mais le reconnaître au moment où nous nous parlons, ce serait reconnaître le terrorisme. »

 

Dans un souci de dédiabolisation, certaines extrêmes droites européennes, dont le RN, ont fait taire les voix antisémites de leurs sympathisants, préférant soutenir publiquement Israël contre l'islamisme. Une stratégie visant à tenter de faire oublier son passé négationniste et fasciste.

 

Les Émirats arabes unis et l'Égypte luttent contre toute forme d'islam politique qu'ils considèrent, depuis les Printemps arabes, comme une menace pour leur hégémonie. Sur fond de grande rivalité politique et économique avec le Qatar, qui soutient, lui, les mouvements fréristes en Afrique et au Moyen-Orient, Abou Dhabi et Le Caire ont parié sur Marine Le Pen pour contrer contre l'influence de Doha en France.

 

La proximité idéologique émiratie avec le RN – chasse à l'islamisme et attachement à une identité nationale préservée – est allée jusqu'au discret financement du parti d'extrême droite par Abu Dhabi. Mediapart révélait en effet en 2019 qu'un prêt de 8 millions d'euros avait été transféré sur le compte Société Générale du RN depuis la société de gestion d’actifs Noor Capital, basée à Abou Dhabi. Après la coûteuse campagne électorale de 2017, les comptes du FN étaient à ce moment-là déficitaires de « 5 à 6 millions d’euros ».

 

Un cadeau tombé du ciel que le RN a su remercier en multipliant les saillies médiatiques fustigeant le Qatar et l'Arabie saoudite, rivaux des Émirats, les qualifiant de « parrains du terrorisme international ». Comme le 30 septembre 2014, où Marine Le Pen est invitée de France 24 pour détailler sa vision du Moyen-Orient : « La France doit rompre ses relations avec le Qatar et l’Arabie saoudite, qui ont aidé, assisté et financé les fondamentalistes islamistes à travers le monde. Il faut s’appuyer sur les pays musulmans qui luttent contre le fondamentalisme ».

 

MARINE LE PEN « L'ÉGYPTIENNE »

 

En citant l'Égypte comme modèle de lutte contre l'islamisme, le RN s'est aussi mis dans la poche le dictateur Abdel-Fattah al-Sissi. Arrivé au pouvoir en 2013 après un coup d'État contre Mohamed Morsi – élu démocratiquement – le maréchal a fait de la lutte contre les Frères musulmans dont était issu l'ex-président une obsession.

 

Malgré plusieurs rapports accablants sur la cruauté du régime de Sissi, Marine Le Pen a effectué un voyage en 2015, organisé par Aymeric Chauprade, afin d'ouvrir et d'affirmer ses connexions à l'international. Elle y aurait fait la rencontre des plus hauts administrateurs d’État égyptien, allant du président Abdel-Fattah al-Sissi au Premier ministre Ibrahim Mahlab, en passant par Khaled Fawzi, patron des services de renseignement.

 

Localement, quelques journaux et personnalités médiatiques pros gouvernement saluent la tête de file du parti d'extrême droite et louent ses positions prises contre le Qatar que l'Égypte avait sanctionné en participant au blocus à son encontre en juin 2017. La même année, ce soutien artificiel ira jusqu'à l'histoire grotesque lancée par Atef Makhalif , député du Caire au Parlement. Ce dernier revendique un lien familial avec Pauline Vincent, arrière-grand-mère égyptienne de Marine Le Pen. Prétendument originaire lui aussi d'Assiout, le nom du député égyptien se rapprocherait de la mère maltaise de Pauline Vincent.

 

Quelques jours auparavant, Marine Le Pen avait affiché sa solidarité envers les Coptes égyptiens endeuillés par un attentat revendiqué par Daech, liant ses origines via son arrière-grand-mère donc, avec la communauté chrétienne d'Égypte. Sauf qu'il est peu probable qu'elle y appartenait réellement, Pauline Vincent étant, selon Christiane Chombeau, auteure de l'ouvrage Le Pen, fille et père (Éditions du Panama, 2007), descendante d'une « famille maltaise du côté de sa mère » et « d'un père suisse ».

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