Santé. « Rester en place serait de la compromission »
Médecin chef urgentiste de l’hôpital de Creil (Oise), Loïc Pen annonce sa démission de son poste d’encadrant, la fermeture de la maternité ayant des répercussions sur son service.
Indéfectible défenseur de l’hôpital de Creil (Oise), Loïc Pen s’est mobilisé contre les nombreuses mesures d’économies imposées au groupe hospitalier public du sud de l’Oise (voir l’encadré). Mais ces décisions prises par l’agence régionale de santé (ARS) touchent désormais le fonctionnement du service des urgences qu’il dirige. D’où l’annonce de sa démission de son poste d’encadrant.
Pourquoi avoir pris maintenant cette décision de quitter vos fonctions de chef des urgences hospitalières de Creil ?
loïc pen Je démissionne de mes responsabilités de chef de pôle. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est la fermeture de la maternité de niveau 3 (le plus élevé, attribué aux maternités disposant d’un service de réanimation néonatale et spécialisées dans le suivi des grossesses à risque – NDLR). C’est la première fois que les autorités de santé imposent que l’on ferme une structure de ce niveau, qui rayonne sur un large bassin de population dynamique démographiquement, mais avec des problèmes d’accès aux soins et aux transports. Beaucoup de gens n’ont pas les moyens de se déplacer jusqu’à Senlis. On sait très bien que la fermeture de la maternité de Creil va engendrer des naissances inopinées aux urgences. Les médecins du Smur sont capables de faire face. Mais ceux des urgences ne sont pas formés pour. Or, on nous dit aujourd’hui : « Vous allez vous former l’espace de quelques heures et d’un passage en maternité. » Comme si cela suffisait. Même les sages-femmes, avec leurs cinq années de formation, nous disent qu’il est très dangereux de procéder de la sorte. En tant que chef des urgences, je ne peux pas appliquer cette décision. Nous luttons depuis plus d’un an et demi contre la fermeture de la maternité. Mais là, le vase déborde. Rester en place reviendrait à passer du compromis à la compromission.
Est-ce à dire que ce combat est perdu ?
loïc pen Je ne désespère pas. Je demeure médecin des urgences. Mais je ne mettrai pas en pratique cette décision de l’ARS visant à faire reposer sur les épaules des médecins des urgences toute la responsabilité des problèmes liés à la fermeture de la maternité. Les médecins de pôle n’ont plus les moyens d’influer sur les décisions. Mais la lutte va continuer par d’autres voies.
Quelles sont ces voies que vous évoquez ?
loïc pen La lutte syndicale et politique demeure. Il ne s’agit pas que de la fermeture de la maternité. On va trop loin dans la casse de l’hôpital public. Une réforme complète serait à mener. L’ensemble des personnels en a désormais conscience. On devrait crouler sous un « pognon de dingue » si on récupérait l’argent public du Cice (crédit d’impôt compétitivité-emploi), de la fraude et de l’évasion fiscales, et si l’on réinstaurait l’impôt sur la fortune. Au lieu de cela, tout a été déshabillé autour de nous : il n’y a quasiment plus de médecins de ville, et nous n’avons plus les moyens de faire face à l’afflux des gens qui n’ont plus d’autres interlocuteurs que les urgences. On a organisé la pénurie en regroupant toujours plus les services. Mais quand on dépouille le service public, c’est pour faire de la place au privé. Et quand les dysfonctionnements majeurs du système apparaissent, on diligente des enquêtes technocratiques pour détecter des responsabilités individuelles, trouver des boucs émissaires. Je ne me prête pas à cette décision.
Comment votre équipe a-t-elle réagi à votre décision ?
loïc pen Ma décision a été bien comprise. Tous les médecins urgentistes sont particulièrement choqués de recevoir cette injonction de formation à réaliser dans des délais aussi courts, quitte à ce que cela se fasse durant nos heures de garde. Comme si nous enfilions des perles lorsque nous sommes en service aux urgences ! Cela révèle, de la part des autorités de tutelle, une méconnaissance totale de nos activités et métiers. Faute de personnel, la prise en charge se dégrade. Il n’est pas question pour nous dans ce contexte de mettre en danger les mamans et leurs enfants. Pour les médecins, c’est humainement difficile. En plus de ne pas se sentir bien dans leur travail, ils assumeraient seuls la responsabilité pénale en cas de problème. Ce qui m’inquiète maintenant, c’est que les urgentistes démissionnent à leur tour pour ne pas avoir à endosser les conséquences d’un système défaillant.
Santé. " Rester en place serait de la compromission "
Médecin chef urgentiste de l'hôpital de Creil (Oise), Loïc Pen annonce sa démission de son poste d'encadrant, la fermeture de la maternité ayant des répercussions sur son service.
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