"La Haine" sur la scène de la prochaine Fête de l’Humanité
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Trente ans après la sortie de son film culte, Mathieu Kassovitz fait revivre la réalité des quartiers populaires sur scène. Un spectacle qui se jouera exceptionnellement à la prochaine Fête de l’Humanité. Rencontre avec les comédiens Alivor et Samy.
Si la Haine est la première comédie musicale présentée à la Fête de l’Humanité, c’est aussi votre première comédie musicale à vous, en tant qu’acteurs…
Alivor : C’est un spectacle auquel j’arrive à m’identifier, c’est pour ça que j’ai accepté ce rôle. On peut penser que le format comédie musicale va dénaturer le propos. Mais quand j’ai vu qui était derrière – Mathieu Kassovitz, Serge Denoncourt, Émilie Capel ou encore Proof –, je me suis dit qu’on avait l’occasion de nous réapproprier les choses, d’essayer de rétablir l’image des quartiers aux yeux du peuple.
Le spectacle, comme le film il y a trente ans, raconte la vie de trois personnages dans la Cité des Muguets. Le public qui vient vous voir est très divers, pas forcément familier des quartiers populaires. Comment ces personnes reçoivent le spectacle ?
Samy Notre public venait principalement de la comédie musicale et était habitué à des formats comme Starmania ou les Dix Commandements. Au début, je pensais que cette relation allait donc être un peu compliquée. Mais ce spectacle est conçu pour les gens qui ne sont pas de la banlieue, c’est une – belle – représentation de notre vie. La Haine a permis de montrer au monde ce qu’était une banlieue française et qu’il n’y a pas que de la violence : il y a surtout de l’amour, de la fraternité et du partage. Et on rigole ! Du malheur, de la pauvreté, de plein de choses, tout en gardant la tête sur les épaules…
Avez-vous un souvenir de la première fois où vous avez vu le film ?
Samy J’étais très jeune, c’est mon grand frère qui me l’a montré à l’époque. La première fois, je le voyais comme une comédie. Quelques années plus tard, avec plus de maturité, j’ai commencé à comprendre les problématiques sous-jacentes. J’ouvrais la fenêtre de mon appartement, je regardais ma cité : j’avais l’impression d’être dans la Haine. C’est le premier film qui a donné de l’espoir aux banlieues.
Alivor La Haine faisait également partie des films de chevet de mon grand frère. Cette comédie musicale est pour moi une manière de rendre hommage à une œuvre qui m’a structuré et inspiré. À travers Hubert, j’arrive à m’identifier, à me dire que les renois peuvent aussi être acteurs. Si aujourd’hui je suis artiste, c’est peut-être aussi grâce à toutes ces choses qui m’ont montré que c’était possible.
L’4MOUR, chanté par Alivor, est un titre rempli d’émotions, partagé avec l’ensemble des artistes sur scène, un moment plein de sincérité. Que ressentez-vous à ce moment précis ?
Alivor Quand je chante ce titre, je suis en mission. J’ai l’impression de représenter la voix du peuple, la voix de ceux qui nous regardent. À ce moment-là, je suis juste un outil, un haut-parleur. C’est là que le message de la Haine a un impact. J’arrive à l’extérioriser grâce à ce qui se passe tout au long du spectacle, grâce aussi à tous mes acolytes et au public. On ressent une grosse énergie à ce moment-là.
Samy C’est le morceau de la troupe, des vingt-cinq danseurs sur scène. Il te prend naturellement, après deux heures d’un spectacle empli d’émotions. Tout est joué, mais en tant que comédiens, on le ressent, on le vit. On pense à ce qui nous est peut-être arrivé pour le rejouer sur scène. Le fait de chanter frontalement devant le public, de voir les larmes de certaines personnes, les poings levés d’autres, tout cela augmente l’intensité du morceau.
L’un des thèmes musicaux les plus marquants est cette reprise du Chant des partisans, un chant de résistance de la Seconde Guerre mondiale. Ce titre est modernisé par Proof. Comment résonne-t-il en vous ?
Alivor Ce titre montre qu’il y a beaucoup de parallèles, que beaucoup de choses vécues auparavant le sont encore aujourd’hui. D’une certaine manière, on se bat pour nos vies, face à l’oppression. Ce Chant des partisans a été écrit dans un autre contexte mais trouve aujourd’hui un écho. Nous sommes les héritiers de nos aïeux, nous défendons les valeurs de la République, la devise de ce pays. Cette devise-là, on ne la retrouve pas dans les médias. Le Chant des partisans, c’est ce chant révolutionnaire, c’est ce que nous sommes au quotidien. Révolutionnaires, malgré nous : ce que l’on veut, c’est vivre en paix.
Aujourd’hui, la représentation culturelle des quartiers populaires est plus grande, notamment dans les clips. Pensez-vous que le film a apporté cette visibilité dans la culture générale ?
Samy Auparavant, tu n’osais pas trop dire que tu venais de quartiers. Tu pratiquais ton art, mais on ne sortait rien, tout restait entre nous. Aujourd’hui, le rap est la musique la plus écoutée dans le monde. La Haine a permis de montrer qui nous sommes et nous a permis de montrer ce que nous savons faire, que ce soit du rap, de la danse, ou toute autre forme d’art.
Trente ans séparent le film, sorti en 1995, et la comédie musicale en tournée. Il y a beaucoup de ponts entre les deux, tant culturels que politiques. Musicalement, Édith Piaf rencontre Aya Nakamura, Jean-Marie Le Pen est cité dans le film, Jordan Bardella dans la comédie musicale… La Haine traverse le temps ?
Alivor « Jusqu’ici, rien n’a changé »… D’un point de vue culturel et social, c’est court, trente ans. Les problèmes sont les mêmes, c’est juste la forme qui a changé. On a remplacé Le Pen par Bardella… Ce que nous vivons aujourd’hui, d’autres l’ont vécu, juste d’une autre manière.
Une différence, peut-être, se trouve dans la médiatisation, notamment des banlieues, mais aussi des bavures policières. La comédie musicale est sortie un an après la mort de Nahel…
Samy Il y a trente ans, il n’y avait pas de téléphone, mais déjà des bavures et personne n’était au courant. Aujourd’hui, les personnes frappées et les morts sont filmés, on voit ce qui se passe et rien ne change. En ce sens, je trouve que ça a empiré. Tu peux ressortir millionnaire en assassinant un enfant (une cagnotte lancée par l’extrême droite a permis au policier qui a tué Nahel de toucher 1,6 million d’euros – NDLR)… C’est aussi l’une des raisons de la tenue de ce spectacle. En tant qu’artistes, nous faisons des piqûres de rappel, nous montrons que nous sommes encore là et qu’il est temps que tout cela change.