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Le blog de pcfmanteslajolie

Entre Paris et Alger, une crise au relent colonial

28 Mars 2025, 08:23am

Publié par pcfmanteslajolie

La surenchère verbale ouverte depuis plusieurs semaines par le ministre de l’Intérieur, tourne à l’affrontement diplomatique. Les idées de l’extrême droite, les "nostalgériques" et les ambitions électoralistes de Bruno Retailleau alimentent une dangereuse passe d'armes. Le chef de l’État reste muet face à une crise qu’il a lui-même initiée en s'alignant sur le Maroc a propos du Sahara Occidental.

 

Le 19 mars 1962, les accords d’Évian mettaient fin à 132 ans de colonisation française. Soixante-trois ans plus tard jour pour jour, certains en France l’ont visiblement toujours en travers de la gorge. À l’image de l’éditorialiste du Figaro Yves Thréard, cas psychanalytique de refoulé colonial, qui ose établir un parallèle, ce 19 mars, entre les 132 ans de colonisation et ses cortèges d’Oradour-sur-Glane – pour paraphraser Jean-Michel Aphatie – et les supposées ingérences algériennes dans la présidentielle française de 2027 : « N’autorisons pas le régime algérien à la prendre en otage », écrit-il.

Cette allusion n’a rien d’anodine, elle vise à défendre le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, lancé dans une surenchère électorale qui débouche aujourd’hui sur une des crises les plus profondes depuis la guerre de libération nationale algérienne. « La pire crise de l’histoire de la France et de l’Algérie », estime pour sa part l’historienne Karima Dirèche, directrice de recherche au CNRS, qui se dit « sidérée de la violence du ton employé » et déplore « qu’aucune figure de médiation ne semble émerger, comme c’est le cas d’habitude, pour éteindre l’incendie ».

L’obsession de Retailleau

Ce ton, c’est donc celui d’un ministre qui a fait de la relation entre la France et l’Algérie l’otage de ses ambitions. Après plusieurs semaines d’escalade verbale, Bruno Retailleau a osé ce 19 mars, au micro de Sud Radio, affirmer que « c’est l’Algérie qui nous agresse ». Quatre jours plus tôt, dans un entretien au Parisien, il déroulait ses obsessions : « Au bout de la riposte, il y aura la remise en cause des accords de 1968 ».

Un traité fondateur, qui régit les relations entre les deux pays en matière de circulation, de séjour et d’emploi des Algériens dans une France heureuse d’accueillir cette main-d’œuvre. Et dont les dispositions particulières ont été petit à petit alignées sur le droit général des étrangers, notamment en 1986 par Jacques Chirac, qui en avait fait, lui aussi, un argument électoraliste.

Pour l’historien Alain Ruscio, auteur de la Première Guerre d’Algérie, 1830-1852 (la Découverte, 2024), Bruno Retailleau « reprend d’une façon assez hallucinante, sans doute sans s’en rendre compte, ce que disait Mitterrand au début de la guerre d’Algérie. C’est assez désolant, il s’agit d’une régression à laquelle la gauche n’a peut-être pas été attentive ». Pour lui, « il existe une frange de la société française qui est en train de grandir et pour qui l’indépendance n’est toujours pas passée ».

Cette remarque vaut pour Gérald Darmanin, qui a évoqué ce mardi un « rappel de l’ambassadeur », Stéphane Romatet. Misère de la diplomatie française, le véritable ministre des Affaires étrangères est totalement inaudible. Jean-Noël Barrot a bien tenté de reprendre la main, à l’occasion du traditionnel iftar à la mosquée de Paris, la rupture du jeûne du ramadan, d’ailleurs boycotté par Bruno Retailleau malgré l’usage.

« La France est attachée à sa relation avec l’Algérie, avec laquelle nous sommes unis par des liens complexes, mais d’une densité sans équivalent et des intérêts partagés », a listé le responsable – théorique – de la diplomatie française. Avant de reconnaître que « les tensions actuelles, dont nous ne sommes pas à l’origine et qui ont connu lundi un nouveau développement problématique, ne sont dans l’intérêt de personne ».

Ce « nouveau développement » n’a rien de neuf : il concerne les fameuses OQTF (obligation de quitter le territoire français), que Bruno Retailleau monte en épingle. À l’image de l’influenceur Doualemn que le gouvernement avait voulu expulser un peu vite en Algérie.

Cette dernière avait refusé, arguant que la procédure de droit n’avait pas été respectée. Un argument confirmé par le tribunal administratif de Melun, qui avait annulé l’OQTF le 6 février, ce qui avait d’ailleurs valu aux magistrats et greffiers un déferlement de haine et des menaces de mort, sans que Bruno Retailleau ni aucun membre du gouvernement ne s’en émeuvent. Depuis, une commission d’expulsion a autorisé le renvoi de l’influenceur, via la voie légale.

Même taux d’exécution des OQTF avec le Maroc

Ce lundi, c’est une liste d’une soixantaine de ressortissants algériens, présentée le 14 mars, qui a été remise aux autorités à Alger. Refusée, là aussi : un diplomate des Affaires étrangères algérien a reçu à l’occasion son homologue français pour affirmer un rejet « sur la forme et sur le fond ».

D’abord en faisant valoir que « la France ne pouvait unilatéralement (…) décider de remettre en cause le canal traditionnel », celui des préfectures et des consulats. Ensuite, en rejetant les « menaces et velléités d’intimidation », les « injonctions et tout langage comminatoire ». Un strict rappel au droit et au langage diplomatique.

Petit élément de comparaison : le taux d’exécution des OQTF est le même pour l’Algérie que pour la Tunisie ou le Maroc, autour de 4,4 %. Pourtant, les ministres français défilent à Rabat, avec qui les relations sont au beau fixe. La crise avec l’Algérie s’inscrit donc bien dans un contexte politico-historique. « Les Algériens n’ont qu’un souhait : tourner la page. Comment serait-ce possible, quand en France, des responsables politiques veulent rejouer la guerre, avec la réactivation d’un roman national archaïque et imbécile, mobilisant la nostalgie d’une grandeur coloniale perdue ? » questionne Karima Dirèche.

Le régime algérien joue sur du velours : l’offensive de la droite et de l’extrême droite française lui permet d’exploiter la fibre nationaliste et les ressentiments de l’histoire, à l’image du traitement réservé à Boualem Sansal « Cela va seulement conduire les Algériens à un resserrement national autour du régime », estime Alain Ruscio. Ainsi, l’agence de presse officielle algérienne (APS) fait état de la convocation de Stéphane Romatet, la semaine dernière, pour mettre sur la table le sujet des 61 biens immobiliers dont dispose la France en Algérie pour un loyer modique. À commencer par l’ambassade, installée sur un site de 14 hectares pour un prix équivalent à « une modeste chambre de bonne à Paris ». L’APS et la presse algérienne en ont fait leurs choux gras.

Une mesquinerie en appelant une autre, le gouvernement français a supprimé l’exemption de visas pour les titulaires d’un passeport diplomatique pour les dignitaires algériens, ce qui n’a fait que mettre en exergue les passe-droits dont bénéficie une « caste de privilégiés » algériens – l’expression est revenue dans les rares journaux locaux encore critiques du pouvoir.

Désormais, Bruno Retailleau tente de se sortir du bourbier en mettant sa démission dans la balance. Mais une note secrète révélée par la Tribune, le 1er mars, démontre que son offensive est pensée et préparée. Elle estime nécessaire « d’engager un rapport de force » et détaille les différentes étapes de la « riposte graduée » dont le ministre nous rebat les oreilles.

Le silence de Macron

À cette cacophonie diplomatique s’oppose un assourdissant silence : celui d’Emmanuel Macron. Affaibli sur le plan politique, le chef de l’État n’a même plus l’autorité de rappeler à l’ordre son ministre de l’Intérieur. Pour Karima Dirèche, « laisser la relation franco-algérienne aux mains de la droite extrême et de l’extrême droite est dangereux. Le silence d’Emmanuel Macron, qui observe sans rien dire son ministre de l’Intérieur se comporter en chef de la diplomatie est irresponsable ».

En réalité, cette crise, Emmanuel Macron l’a lui-même initiée avec la reconnaissance par la France, l’été dernier, de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, au mépris du droit international et du peuple sahraoui. Cela avait d’ailleurs conduit Alger à rappeler son ambassadeur en France, Saïd Moussi, dont le poste est toujours vacant. Un revirement pointé du doigt par Alain Ruscio : « Une fois de plus, Macron a agi seul et a même surpris son entourage. Aujourd’hui, il est dans une telle situation politique d’impuissance, d’impasse, qu’il cède à une menace d’un ministre qui fait du chantage. »

Cette nouvelle étape de relations franco-algériennes tumultueuses en dit plus long sur l’état de la diplomatie et du débat franco-français, qui « se nourrit d’une terrible ignorance sur les évolutions de l’Algérie contemporaine », pointe Karima Dirèche. « Les idées de l’extrême droite sont au gouvernement. Avec un réflexe de retour au colonial, en tout cas à son esprit », juge Alain Ruscio. Soixante-trois ans plus tard, l’Algérie demeure un enjeu politique, voire un ennemi, pour les tenants de cet esprit colonial.

 

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