Police. « Un agent en désaccord avec Alliance est systématiquement discriminé »

Pour une police républicaine au service des citoyens, Anthony Caillé, le secrétaire général de CGT police, appelle à arrêter la cogestion entre le syndicat majoritaire, qui se revendique proche du RN, et le ministère de l’Intérieur.
Tandis que le Nouveau Front populaire (NFP) a l’ambition de rétablir la police de proximité supprimée en 2003 par Nicolas Sarkozy, d’affermir le cadre de l’usage de leurs armes par les agents, de remplacer l’IGPN et l’IGGN par « un nouvel organisme indépendant, rattaché à la Défenseure des droits », d’abolir la réforme de la police judiciaire pour lui redonner de l’indépendance, Anthony Caillé, dont le syndicat porte ces mêmes propositions, alerte sur les blocages qui pourraient freiner leur mise en œuvre. Il appelle le futur ministre de l’Intérieur à faire preuve de courage pour rompre avec un système qui autorise le syndicat majoritaire à verrouiller l’institution policière.
Dans une tribune au Monde cosignée avec la sociologue Laurence Proteau, vous parlez d’un délitement de la police républicaine, de quoi s’agit-il ?
Anthony Caillé
Secrétaire général de la CGT Intérieur-Police
L’instrumentalisation de la police par l’État n’est pas un phénomène nouveau. Mais l’imposition par les gouvernements successifs de mesures antisociales de plus en plus dures et répétées l’a amplifié. Les manifestations et les mouvements de protestation ont été de plus en plus durement réprimés. Quand un gouvernement agit contre le peuple et se sent en danger, il se retranche derrière sa police.
On a ainsi pu observer une évolution de la doctrine du maintien de l’ordre, s’éloignant de plus en plus de la notion de désescalade, avec des policiers surarmés faisant face à la foule. On constate aussi un recours de plus en plus fréquent à des compagnies de type Brav-M, dépendant directement des préfets et plus malléables que les compagnies républicaines de sécurité (CRS).
Le programme du NFP sur la police vous semble-t-il facile à appliquer ?
Il risque d’y avoir de sacrées résistances et des pressions sur le ministère de l’Intérieur pour que ce programme ne soit pas mis en œuvre. Par exemple, je ne suis pas sûr que la réforme de l’IGPN, l’allongement de la formation des policiers ou le retour d’une police de proximité seront aisés à mettre en place.
Il faut se souvenir qu’en 2020 les syndicats majoritaires avaient obtenu la tête de Christophe Castaner, qui proposait des sanctions pour les policiers faisant l’objet de « soupçons avérés de racisme » et la suppression de la technique de la « clé d’étranglement » après la mort de Cédric Chouviat…
Quelle est l’ampleur du pouvoir des syndicats majoritaires ?
Leurs délégués ont la main sur les avancements, les plannings, l’octroi des mutations, etc. Donc un agent en désaccord avec le délégué Alliance est systématiquement discriminé : il assure les permanences tous les week-ends, ne choisit pas ses dates de congés, se fait doubler sur le tableau d’avancement… Pire, il peut être ostracisé et ne pas pouvoir compter sur la protection de ses collègues lors d’interventions risquées.
« Il faudra que le prochain ministre de l’Intérieur ait le courage, comme Pierre Joxe l’avait fait en son temps, de révoquer certains responsables de syndicats policiers pour sortir de l’actuel système de « cogestion » entre eux et la tutelle. »
De plus, les syndicats majoritaires organisent l’omerta en collaboration avec le ministère de l’Intérieur. Tout policier qui souhaite dénoncer un dysfonctionnement ou se désolidariser d’une exaction de ses collègues est sommé de se taire, sinon une forte répression de toute l’institution s’abat sur lui.
Je suis régulièrement alerté sur de telles affaires dans lesquelles des lanceurs d’alerte se trouvent placardisés, harcelés, etc. Au passage, il faut noter que, contrairement à ce que veulent faire croire les syndicats majoritaires, le taux alarmant de suicides parmi les agents est dû non pas à la mauvaise image de la profession, mais au harcèlement dont les policiers sont victimes en interne.
Le secrétaire général du syndicat Alliance, Fabien Vanhemelryck, a tenu publiquement des propos racistes et revendiqué la paternité du programme du RN. L’adhésion massive des policiers à ce syndicat vaut-elle caution aux idées d’extrême droite ?
On ne peut pas tirer de conclusions quant au racisme des policiers sur le simple fait de leur adhésion en nombre à Alliance. En effet, cette adhésion est quasi obligatoire pour obtenir le moindre avancement, pour être assuré de la solidarité des collègues en intervention, pour ne pas faire l’objet de harcèlement, etc.
Cette « solidarité » se manifeste régulièrement par des démonstrations de force : quand des policiers de son syndicat sont jugés, Alliance appelle à aller manifester, en tenue, armé, en voiture de patrouille et toutes sirènes hurlantes devant les tribunaux pour mettre en cause les décisions de justice rendues à l’encontre de leurs adhérents reconnus coupables de violences…
Mais beaucoup de policiers n’adhèrent ni aux idées racistes, ni aux demandes d’Alliance concernant l’armement et l’extension de la présomption de légitime défense. Ils ne l’expriment pas, car ils essaient de se préserver.
Comment rompre avec ce système ?
Il faudra que le prochain ministre de l’Intérieur ait le courage, comme Pierre Joxe l’avait fait en son temps, de révoquer certains responsables de syndicats policiers pour sortir de l’actuel système de « cogestion » entre eux et la tutelle. Cela passera aussi par la mobilisation des policiers en interne.
Ils doivent faire un examen de conscience et accepter de mettre leur carrière individuelle de côté pour défendre collectivement les conditions de travail, exiger une meilleure formation, une relation de proximité avec la population, etc. La première mesure concrète à prendre serait l’arrêt de cette politique du chiffre mortifère qui conduit à la multiplication des contrôles d’identité, souvent au faciès, pour « faire du stup » ou « faire de l’étranger en situation irrégulière ».
Des affaires « résolues » sans même avoir à enquêter. Exercer ce type de répression tous les jours est intenable. Je reste persuadé qu’au fond la majorité des policiers aspirent à effectuer un travail utile.