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Le blog de pcfmanteslajolie

Karim Ben Cheikh, l’écologiste qui s’aligne sur le régime marocain

12 Mai 2023, 05:59am

Publié par pcfmanteslajolie

Un article éclairant de Mediapart sur la complicité de certains élus avec la monarchie marocaine qui tient à contrôler ses ressortissants.

Candidat à sa réélection comme député des Français de l’étranger, cet élu de la Nupes prend régulièrement fait et cause pour le royaume du Maroc, notamment au sujet du Sahara occidental. Un positionnement inhabituel à gauche, qui fait tiquer les défenseurs des droits humains au Maroc.

Pauline Graulle et Ilyes Ramdani

4 avril 2023 à 16h48


Un premier tour où il arrive largement en tête et une réélection qui lui tend les bras. Pour l’écologiste Karim Ben Cheikh, la première manche des législatives partielles a été un franc succès. Arrivé en tête avec 42 % des suffrages dimanche 2 avril, l’ancien diplomate et député sortant de la neuvième circonscription des Français·es de l’étranger devance largement la candidate Renaissance Caroline Traverse qu'il retrouvera, pour le second tour, le 16 avril.

Trois mois après l’annulation de sa première élection pour des « dysfonctionnements » constatés lors du vote électronique de juin dernier, le candidat investi par la Nupes (Nouvelle union populaire écologique et sociale) et personnellement soutenu par Jean-Luc Mélenchon devrait offrir une victoire à la gauche française, dans cette circonscription qui couvre seize pays du Maghreb et d’Afrique de l’Ouest.

Vu de Rabat aussi, le résultat du premier tour est un soulagement. En pleine crise diplomatique avec la France, le Maroc peut nourrir une forme d’optimisme : le gagnant du premier tour est loin d’être un opposant acharné au régime. Au cours de la campagne, Karim Ben Cheikh a multiplié dans la campagne les prises de position en phase avec celles de la diplomatie du royaume.

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Le député Karim Ben Cheikh à l'Assemblée nationale, le 6 juillet 2022. © Photo David Niviere / Abaca

L’enjeu n’est pas secondaire : la neuvième circonscription a beau couvrir un territoire bien plus vaste que la France, son cœur névralgique se situe au Maroc qui abrite un tiers de l’électorat. « C’est là que se gagne la circonscription et personne ne peut le faire en se mettant le Maroc à dos », glisse un élu qui s’y est naguère cassé les dents. Gare à celui ou celle, par exemple, qui viendrait émettre des réserves sur la « marocanité du Sahara » occidental chère au régime.

La question obsède la vie politique marocaine, fait la une des journaux, déchaîne les commentaires sur les réseaux sociaux… « Le sujet du pouvoir marocain, c’est de mettre à l’Assemblée nationale un partisan du royaume chérifien, poursuit l’élu cité plus haut. Reconnaître le Sahara comme marocain est indispensable à leurs yeux. Les tenants du pouvoir ont des réseaux très puissants pour influer sur l’élection, c’est un vrai rouleau compresseur. »

« Sans cesse interrogé là-dessus », de son propre aveu, Karim Ben Cheikh a choisi son camp. « Vous parlez d’intégrité territoriale et vous avez raison, disait-il déjà en 2022 au média Matin TVEn somme, le Sahara est pour les Marocains ce que l’Alsace-Lorraine est pour les Français. » Début mars, face à la caméra du site marocain Le360.ma, il reprend une formule lourde de sens, que la diplomatie française se refuse à prononcer depuis quinze ans. « La proposition d’autonomie du Sahara dans le cadre de la souveraineté marocaine est la seule solution réaliste, crédible et sérieuse », affirme-t-il.

Une position pour le moins surprenante venant d’un élu de gauche. Au sein même du groupe écologiste, plusieurs parlementaires ont signifié à Karim Ben Cheikh leur désaccord, sinon leur embarras. Et pour cause : considéré par les Nations unies comme un territoire dont la décolonisation n’est pas aboutie, le Sahara occidental fait l’objet de revendications d’indépendance par une partie de la population sahraouie qui y vit, portées par le Front Polisario et soutenues par l’Algérie voisine.

Un ancien conseiller du premier ministre marocain à ses côtés

Au nom de la lutte pour l’autodétermination des peuples, une large partie de la gauche française a défendu ces dernières années la tenue d’un référendum sur le territoire. C’est le cas, notamment, des écologistes et des communistes. En octobre 2019, Mathilde Panot, aujourd’hui présidente du groupe La France insoumise (LFI) à l’Assemblée nationale, s’est aussi affichée à une manifestation pour les droits humains au Sahara occidental. « Soutien au peuple sahraoui qui lutte pour son auto-détermination et la libération des détenu·es »tweetait-elle dans la foulée.

Les adversaires de Karim Ben Cheikh n’ont pas manqué de faire de ces contradictions un angle d’attaque. « Populisme !, a écrit le lobbyiste Omar Alaoui, soutien de l’ancien député M’Jid El Guerrab, battu au premier tour. À Paris, il siège fièrement avec les ennemis de notre intégrité territoriale. » Un autre jour, il recense toutes les « positions pro-Polisario » d’Europe Écologie-Les Verts, parti auquel est rattaché Karim Ben Cheikh. Un autre encore, il l’accuse d’être soutenu par des partis qui seraient des « soutiens financiers et politiques du Front Polisario ».

L’intéressé, lui, maintient son soutien à la marocanité du Sahara. « J’ai une inquiétude sur la stabilité de la région et le Maroc peut y jouer un rôle, plaide-t-il auprès de Mediapart. Avancer sur le plan d’autonomie présenté par le Maroc peut permettre de sortir du blocage actuel. »

Je ne pense pas que ça relève de ma compétence de commenter (l'affaire Pegasus). Je n’ai pas de connaissances précises là-dessus.

Karim Ben Cheikh, à Mediapart

L’alignement du candidat de la Nupes sur les positions du régime dépasse largement la question sahraouie. La crise diplomatique en cours ? Le résultat d’une « faute lourde » du gouvernement français sur les visas d’immigration, juge-t-il auprès de Mediapart. L’affaire Pegasus ? « Je ne pense pas que ça relève de ma compétence de commenter cela, balaye-t-il. Je n’ai pas de connaissances précises là-dessus. Et on ne m'interroge pas là-dessus sur le terrain, vous êtes le premier à le faire. »

Sur les droits humains et leur violation au Maroc, il nous fait savoir par écrit : « J’ai connaissance des cas individuels de journalistes ou défenseurs des droits humains au Maroc. J’en parle aussi avec mes interlocuteurs parce je ne m’interdis aucun sujet. Mais mon souci d'élu français est d’être utile et écouté, et pour cela il faut d'abord rebâtir la confiance. C’est ce qui permet la franchise dans une relation bilatérale. La confiance est un préalable, pas une condition. »

Les sujets dont il préfère parler publiquement sont plus consensuels, relatifs à la « couverture sociale » dans le royaume ou à la « transition énergétique », un sujet sur lequel « le Maroc est un modèle continental depuis des années ».

À ses côtés, un homme est bien placé pour le renseigner sur la politique du gouvernement marocain : un de ses plus proches conseillers, Youssef Aït Akdim, était celui du milliardaire et homme politique Aziz Akhannouch de 2018 à 2021, jusqu’à ce qu’il devienne premier ministre du Maroc. À l’époque directeur de la communication du Rassemblement national des indépendants (RNI), aujourd’hui parti majoritaire, il a rejoint Karim Ben Cheikh dès son entrée en campagne. Lequel l’a embauché à ses côtés à l’Assemblée nationale.

« On était ensemble à Sciences Po, c’est un de mes meilleurs amis et je fais entièrement confiance à son éthique professionnelle, justifie le candidat. Quand vous entrez en campagne, vous allez naturellement vers vos amis les plus proches. » Au sein de ses soutiens, où cette relation fait tiquer, on tente de justifier le recours à ce conseiller comme une manière de s’assurer une victoire sur cette législative partielle, où le réseau local est encore plus déterminant que lors d’élections à forte participation populaire.

« À chaque élection, on se retrouve avec des candidats, qu’ils soient de gauche ou de droite, qui véhiculent la position du pouvoir officiel marocain », dénonce Mohamed Jaite, membre de l’Association marocaine des droits humains (AMDH) et avocat au barreau de Paris. Une ligne qui répond à des exigences électorales ou à des pressions sur place ? « Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c’est que ces politiques ne disent pas un mot sur les détenus politiques et les journalistes indépendants emprisonnés », ajoute le militant des droits humains.

L’affaire raconte aussi, en creux, les balbutiements de la gauche française sur la question marocaine. Les socialistes ont soufflé le chaud et le froid sur le sujet, chérissant tantôt la connexion avec Rabat, tantôt celle avec Alger, sur fond de rupture diplomatique entre les deux puissances régionales. Chez les écologistes, la présidente du groupe, Cyrielle Chatelain, reconnaît que « des positions divergentes » existent mais assure que « la question n’a pas été débattue car ce n’était pas d’actualité ».

Quant aux Insoumis, ils ne sont pas plus clairs. Si Mathilde Panot a affiché une position ferme sur la question, Jean-Luc Mélenchon, qui ne perd jamais une occasion de rappeler qu’il est né à Tanger et qu’il entretient des liens de cœur avec son pays d’enfance, a souvent pris soin de l’esquiver. « Il n’a jamais rien déclaré là-dessus, glisse le communiste Jean-Paul Lecoq, fervent partisan de l’auto-détermination. Il a des liens forts avec le Maroc, ça compte peut-être. »

Ce qui expliquerait sa réaction au moment de l’affaire Pegasus, lorsqu’il s’était insurgé contre l’espionnage de son collègue Adrien Quatennens sans mentionner la responsabilité du Maroc ? « Les connaisseurs savent que c’est trop facile et bien commode d’accuser le Maroc alors même que son roi a été espionné », avait-il ensuite écrit, à rebours des révélations de la presse. Moins de deux ans plus tard, le ton n’est pas plus offensif. 

C’est qu’il n’est pas question, dans les rangs insoumis, de « se mettre à dos le Maroc ou l’Algérie », assume le député Arnaud Le Gall. « Je n’ai pas de position abrupte et complètement tranchée sur la question du Sahara, évacue le spécialiste des relations internationales à LFI. Ce n’est pas à nous de l’avoir, c’est au gouvernement en situation. On saura ce qu’on a à faire le jour venu. » L’élu du Val-d’Oise assure que la notion d’autodétermination n’est pas « un principe intangible et universel » mais une réalité « pleine de cas particuliers ».

À LIRE AUSSIAu Parlement européen, le Maroc peut compter sur ses amis français

15 juin 2021Lire +plus tard

L’indulgence de la classe politique française à l’égard de la monarchie marocaine n’est ni une nouveauté ni l’apanage d’un camp (lire cet article de 2021). La construction, depuis trente ans, d’un réseau d’amitiés solides au sein du personnel politique à Paris est une priorité du pouvoir marocain, comme le documentait en 2017 le journaliste Omar Brouksy dans La République de Sa Majesté. Elle est d’autant plus importante que la diplomatie marocaine s’est heurtée à l’affaire Pegasus puis au MoroccoGate, du nom de ce scandale de corruption au Parlement européen.

L’élection du représentant des Français·es du Maroc revêt donc une importance stratégique pour le régime, qui sait par ailleurs que le ou la députée élue briguera naturellement la présidence du groupe d’amitié France-Maroc à l’Assemblée nationale (qu’occupait Karim Ben Cheikh avant l’annulation de son élection).

Ces groupes d’amitié sont particulièrement scrutés depuis que plusieurs enquêtes ont révélé, encore en mars dernier, comment le Maroc en avait fait la porte d’entrée d’un lobbying agressif au Parlement européen. L’institution européenne a fini par décider, en janvier dernier, leur suppression pure et simple en son sein. 

Au milieu d'un tel contexte, les positions pro-marocaines de Karim Ben Cheikh le placent dans une position pour le moins inconfortable, alors que la relation franco-marocaine a été entachée depuis trente ans de compromissions et de corruptions. Le candidat de la Nupes, lui, vante ses « convictions » et son « expérience »« Avoir été diplomate pendant quinze ans, ça forme à se prémunir de toute influence extérieure », affirme-t-il.

 

Pauline Graulle et Ilyes Ramdani

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