Éducation. L’orientation en route vers la privatisation
Les psychologues de l’éducation nationale étaient dans la rue hier pour dénoncer la décision du gouvernement de fermer les CIO et ses conséquences pour la jeunesse.
En 2013, le ministère de l’Éducation nationale recensait officiellement 539 CIO (centres d’information et d’orientation).
Aujourd’hui, il n’en resterait plus que 470.
Et demain ?
Zéro ou presque, puisque, face à la colère des psychologues de l’éducation nationale (Psy-EN) qui y travaillent, le ministère a commencé à rétropédaler : il serait à présent question de conserver… un CIO par département.
Autrement dit, d’en fermer environ 380.
Tout part du projet de loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », qui sera examiné la semaine prochaine par les députés.
Dans ce texte fleuve de plus de 60 articles, qui embrasse pratiquement tous les aspects de la formation professionnelle, un seul article – le 10 – aborde le sujet.
Il prévoit « l’extension des missions des régions en matière d’orientation », « le transfert » pur et simple à ces dernières « des délégations régionales de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions » (Onisep) et, enfin, il ouvre pour trois ans la possibilité d’une « expérimentation (…) permettant à l’État de mettre gratuitement à disposition des régions des agents relevant du ministère de l’Éducation nationale ».
La suppression des CIO n’est donc pas écrite, noir sur blanc, dans ce projet de loi.
Mais, depuis janvier, le ministère a confirmé ses intentions, aux régions comme aux représentants syndicaux : puisque la formation est désormais une compétence des régions, l’objectif est bien de leur confier les missions et les personnels des CIO… et de se débarrasser de ces derniers.
Depuis, la colère ne cesse de monter dans les centres d’information, aboutissant mardi à cette journée de mobilisation, marquée par une manifestation nationale, à Paris, à l’appel d’une intersyndicale unanime (SNES-FSU, SGEN-CFDT, SUD éducation, FO).
le CIO, un lieu neutre, gratuit, ouvert à tous
Mardi matin, avant la manif, plusieurs centaines d’entre eux se réunissaient en assemblée générale dans un grand amphithéâtre proche des Invalides.
Grand, mais qui se révélera vite trop petit, au fil des arrivées de toute la France, dans une ambiance colorée, joyeuse, électrique.
Emeric est venu de Bourgoin-Jallieu (Isère), avec ses collègues.
Ancien contractuel (ils seraient près de 1000 dans les CIO), il a été titularisé après avoir enchaîné six CDD : « Le CIO, c’est un collectif de travail, qui donne aux contractuels le soutien dont ils ont besoin face aux difficultés du métier.
Mais, surtout, c’est un lieu neutre, gratuit, ouvert à tous – élèves déscolarisés, élèves du privé, étudiants, adultes en insertion… –, et cela même pendant les vacances.
Si ces lieux disparaissent et que les Psy-EN sont intégrés dans les établissements, tout cela disparaîtra. » Près de Bourgoin, à Thonon, le CIO a déjà été fermé et intégré dans un lycée : sa fréquentation a beaucoup baissé, affirme-t-il.
Beaucoup dénoncent la perte d’équité qui résulterait de cette réforme, les régions ne consacrant pas toutes les mêmes moyens à la formation, mais surtout la logique à l’œuvre : la même que celle de Parcoursup, « une école au service du tri social, de l’adaptation aux stricts besoins économiques locaux », dénonce un responsable de SUD éducation.
« Sur Oriane, le portail d’orientation déjà mis en place par la région Île-de-France, raconte Christine, du CIO de Gagny (Seine-Saint-Denis), il y a des statistiques sur l’insertion professionnelle par bassin d’emploi.
Comme par hasard, chez nous, ce sont surtout les métiers de l’hygiène et de la propreté qui donneraient des perspectives, alors que dans les Hauts-de-Seine, ce serait les métiers artistiques et de la finance ! »
« On nous dit qu’on n’est pas efficace et qu’il y a des emplois dans les entreprises, tonne Sylvie, de Bourges (Cher), mais alors pourquoi il y a 6 millions de chômeurs ? »
Elle raconte une distribution de tracts sur le marché de la Chancellerie, un quartier populaire du nord de Bourges : « Tous les gens là-bas comprennent ce que signifie pour eux la disparition d’un service public comme le nôtre. Eux, ils savent ce qu’on fait ! »
Ces familles n’auront pas accès aux structures privées, déjà à l’affût, qui font payer au prix fort des « conseils » à la qualité hasardeuse.
« Je connais quelqu’un qui a payé 450 euros sur un site, nous raconte une collègue d’Emeric.
Ils n’ont même pas vérifié quels étaient les diplômes de son fils ! »
Quand on met en place un système d’accès post-bac qui s’appelle Parcoursup et qui génère, faute de réponses satisfaisantes aux vœux, un tel niveau de stress et d’inquiétude chez les candidats et leurs familles que la situation devient ingérable, que fait-on ?
On appelle à la rescousse les Psy-EN, à qui on demande gentiment d’ « accompagner » le processus.
Mais comme on veut fermer les CIO, ce n’est pas le moment de leur faire de la pub.
Alors on met en place un « numéro vert » national… qui en fait renvoie sans le dire vers chaque CIO local !
Une démarche vécue « comme une véritable provocation », commente le Snes.
Éducation. L'orientation en route vers la privatisation
Les psychologues de l'éducation nationale étaient dans la rue hier pour dénoncer la décision du gouvernement de fermer les CIO et ses conséquences pour la jeunesse.
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