L'Humanité. Éducation. Parcoursup, la marche forcée vers la sélection
La nouvelle plateforme d’orientation des bacheliers ouvre aujourd’hui. Un outil qui va permettre aux universités d’effectuer un tri serré des lycéens, renforçant les inégalités sociales.
L’acte 1 de la sélection en fac démarre aujourd’hui.
Parcoursup, la nouvelle plateforme d’orientation des bacheliers, ouvre ses portes à partir de 11 heures en remplacement de l’impopulaire APB, accusé d’avoir laissé sur le carreau des milliers de bacheliers en juin 2017.
Pendant une semaine, les quelque 700 000 élèves de terminale et leurs parents vont pouvoir découvrir ce nouveau logiciel et commencer, à partir de lundi prochain, à y inscrire leurs vœux d’études supérieures. Logo apaisant, application smartphone… le décorum a été soigné.
Et le ministère de l’Enseignement supérieur ne cesse de vanter une procédure « simple, juste et transparente ».
Pourtant, derrière la vitrine des éléments de langage, c’est tout le contraire qui se profile.
Dans les faits, Parcoursup va servir d’outil à l’instauration opaque d’une sélection injuste, dont les milieux populaires ont tout à perdre.
Concrètement, la nouvelle procédure débutera le 22 janvier (lire encadré).
Les lycéens de terminale auront alors jusqu’au 13 mars pour formuler dix choix non hiérarchisés, contre vingt-quatre auparavant classés par ordre de préférence.
Ces vœux seront accompagnés d’un dossier comportant une lettre de motivation du lycéen mais également une « fiche avenir » remplie par l’établissement.
On y retrouvera les bulletins de notes de première et de terminale, la « position » de l’élève dans la classe ou encore les avis du conseil sur les choix d’orientation, notamment au regard des « attendus » (compétences exigées pour chaque filière) que les universités doivent également publier sur Parcoursup.
Concurrence entre les élèves
Les facs pourront alors répondre « oui » ou « oui, mais » si elles souhaitent imposer au bachelier une remise à niveau.
Elles pourront aussi, dans les filières qui manquent de places pour accueillir tous les candidats (Staps, psychologie, etc.), trier parmi les profils, les mettre « en attente » et, au final, dire « non » à ceux qui leur sembleront les moins adaptés.
« Sur le principe, ce ne sont plus les bacheliers qui classent leurs vœux, mais les universités qui classent les bacheliers », résume un enseignant de Paris-VIII.
Fini, ainsi, la liberté pour n’importe quel titulaire du diplôme de s’inscrire dans l’établissement de son choix. La concurrence entre les élèves – vieille lune libérale – est désormais la règle.
Avec, dans le rôle des juges-arbitres, les professeurs de lycée et les universités.
Pour le gouvernement, jamais avare de fakes news, Parcoursup devrait « remettre l’humain au cœur de l’admission post-bac ».
Sur le terrain, c’est surtout le scepticisme et la précipitation qui dominent pour l’instant.
Dans les lycées, la mise en place à la hussarde de la nouvelle plateforme suscite « beaucoup de tensions », explique Benoît Teste, secrétaire général adjoint du Snes-FSU.
« Les conseils de classe du second trimestre vont arriver sans qu’on ait de précisions sur la manière dont Parcoursup va fonctionner. Quels enjeux autour des avis que l’on doit rendre ? À quoi vont-ils servir exactement ? Comment communiquer auprès des familles ? »
Le flou est total.
Comme de nombreux autres professeurs, Benoît Teste se voit mal, en tout cas, jouer les conseillers d’orientation : « Il existe des milliers de formations dans le supérieur dont on connaît mal les enjeux, comment voulez-vous que l’on rende un avis éclairé sur chaque élève ? »
Sans aller jusqu’au boycott, le Snes-FSU appellera clairement les enseignants à ne pas donner d’avis qui puisse bloquer l’avenir d’un lycéen.
Dans les universités, la fronde commence à prendre de l’ampleur.
Perpignan, Lille, Rennes-II, Poitiers, Paris-VIII, Versailles-Saint-Quentin… depuis décembre, une vingtaine de motions ont été votées, refusant de remonter les « attendus » de leurs filières et, plus généralement, cette sélection déguisée.
Chez les enseignants-chercheurs, beaucoup pointent l’impossibilité de mettre en place cette réforme sérieusement.
À commencer par l’examen des dossiers de chaque bachelier qui devra se faire en seulement six semaines.
Entre sept et huit millions de vœux seront déposés sur Parcoursup (dix pour chacun des élèves de terminale), plus d’un millier de dossiers en moyenne par cursus, selon les estimations du ministère…
L’ampleur du travail est telle que cela va nécessiter, comme pour APB, l’usage d’un algorithme de tri, reconnaît la Conférence des présidents d’université, pourtant défenseur de la réforme. Loin du parcours « personnalisé » chanté par le gouvernement, c’est bien un classement automatisé, basé sur les notes et des « attendus », qui avantagera les milieux-sociaux déjà favorisés, qui va prendre place.
Excluant, plus encore qu’auparavant, ceux dont les chances et le destin ont été jugés moins fiables…
Une vision prédictive glaçante. « L’université accessible sans sélection permettait à des late bloomers (personnes dont la maturité arrive plus tardivement) ou à des ados ayant obtenu leur bac ric-rac de se réveiller-révéler.
C’est fini.
Maintenant, c’est marche ou crève dès le lycée », s’agace dans un tribune Valérie Robert, maîtresse de conférences à Paris-III.
Le gouvernement se défend de laisser tomber les plus fragiles.
Et prétend, au contraire, que la possibilité donnée aux universités d’obliger certains bacheliers à suivre une année de remise à niveau (le « oui, mais ») va améliorer leur sort.
Sauf que personne n’est dupe.
De l’aveu même de leurs présidents, les établissements n’ont pas les moyens financiers de proposer ces parcours renforcés en nombre suffisant.
« Peut-être 5 à 10 % des étudiants en bénéficieront », pronostique un responsable.
Rien de plus.
Quant au sort des 175 000 bacheliers professionnels, il risque d’être encore plus dur.
L’année dernière, environ 100 000 d’entre eux ont voulu poursuivre dans le supérieur.
Faute de places en BTS, la filière où ils réussissent le mieux, 14 000 ont dû s’orienter vers les universités. « Avec les ‘‘attendus’’, ils n’ont plus aucune chance d’y entrer, s’inquiète Sigrid Girardin, du Snuep-FSU.
Et côté BTS, le gouvernement ne prévoit de créer que 7 000 places supplémentaires en cinq ans. Bref, il va y avoir une exclusion des bacs pros du supérieur. »
Bacs pros où se concentrent un grand nombre d’élèves des milieux populaires, décidément dans le viseur d’Emmanuel Macron.
Le calendrier.
Dès ce matin, les lycéens peuvent naviguer sur la nouvelle plateforme.
Ils pourront rentrer leurs vœux entre le 22 janvier et le 13 mars, date à laquelle il ne sera plus possible d’en changer.
En revanche, les dossiers pourront être complétés jusqu’au 31 mars.
La majorité des réponses tomberont entre le 22 mai et le début du bac.
La phase complémentaire reprendra le 26 juin.
Les vœux.
Le candidat inscrit 10 vœux au maximum (et jusqu’à 20 « sous-vœux »), sans ordre de préférence ni obligation de mettre une filière « non tendue ».
Pour chaque vœu, il doit faire état de sa motivation tandis que le lycée transmettra aux universités une « fiche avenir », regroupant les notes du jeune (première et terminale), l’avis du conseil de classe, les compétences évaluées par les profs…
Les réponses.
Si oui, pas de problème.
Un « oui si » conditionne l’inscription au suivi d’un dispositif pédagogique.
Un non pourra être émis par les filières sélectives (prépa, BTS, IUT…), mais aussi par les filières en tension où le tri se fera sur dossier.
Les « en attente » patienteront, eux, pour connaître leur sort.
Enfin, pour ceux pris nulle part, le recteur doit proposer des formations « proches de leurs vœux ».
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Éducation. Parcoursup, la marche forcée vers la sélection
La nouvelle plateforme d'orientation des bacheliers ouvre aujourd'hui. Un outil qui va permettre aux universités d'effectuer un tri serré des lycéens, renforçant les inégalités sociales.
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