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Le blog de pcfmanteslajolie

Migrants. Des villages à bras ouverts

10 Janvier 2019, 08:23am

Publié par pcfmanteslajolie

Dans l’Allier, des villages sont devenus, grâce à la volonté de maires, d’habitants et d’associations, des lieux d’accueil pour des réfugiés venus d’Afrique, de Syrie ou d’Afghanistan. Rencontres au sein de cette ruralité qui a la solidarité au cœur.

Dans les frimas de décembre, une silhouette bossue émerge à hauteur du tilleul de Sully, planté au cœur de La Petite-Marche. Un enfant emmailloté dans le dos, Mariam déambule lentement dans le froid qui recouvre le village des Combrailles. Après quelques mètres, la voici sur le perron de la mairie. C’est ici, au premier étage du bâtiment municipal que sa sœur, Kawsar, a élu domicile. Ce matin-là, les deux jeunes femmes ont rendez-vous avec Gérard Renoux, maire sans étiquette de cette commune de 200 âmes. Accompagné de Roger Tripier, le premier adjoint, l’édile est venu prendre des nouvelles de la famille. « C’est moi qui les ai fait venir il y a six mois avec leurs enfants, alors je me sens responsable de leur bien-être », explique-t-il, tout en grimpant les escaliers qui mènent de la salle du conseil à leur appartement.

« J’ai toujours été sensible à la problématique des migrants »

Mariam, 28 ans, et Kawsar, 29, sont nées au Darfour, à l’ouest du Soudan. Lorsqu’en 2002 la guerre civile éclate, la vie de cette famille de bergers va être bouleversée. « Les janjawids (1) sont venus dans notre village et ont tout dévasté », raconte Mariam, en tentant de se défaire des couches de châles inhabituelles pour elle. « Plusieurs membres de notre famille, dont des frères et notre père, ont été massacrés », ajoute Kawsar, faisant s’installer les invités autour de la table. Le viol est une arme de terreur largement usitée par les hommes de main de Khartoum, aussi leur mère décide-t-elle de fuir le Soudan pour rejoindre le Tchad voisin, point de départ d’un long périple. Quinze années d’errance chaotique s’ensuivent, qui les mèneront d’un camp d’exilés à l’autre (neuf au total), avant que l’Office français des réfugiés et apatrides (Ofpra) ne sélectionne la famille pour l’intégrer au programme de réinstallation du HCR, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Début 2018, elles obtiennent un titre de séjour de dix ans.

Leur présence dans l’Allier n’est cependant pas le fruit du hasard. « Nous avions deux logements communaux libres depuis plus de deux ans, rappelle Gérard Renoux, alors que le loyer ne dépassait pas les 250 euros. Dans le même temps, j’ai toujours été sensible à la problématique des migrants. L’association Viltaïs nous a mis en relation avec Mariam et Kawsar et j’ai décidé de les accueillir ! » Arrivées en France en février, les deux mères et leurs enfants (5 et 4 respectivement) échouent d’abord à Lalizolle, à 40 kilomètres de La Petite-Marche. Le maire du village, Gilles Trapenard, les reçoit dans le cadre d’un programme d’accueil provisoire de quatre mois, avant une installation de plus long terme à La Petite-Marche. Mais le court passage à Lalizolle restera un souvenir fort pour tout le clan. « C’est là-bas que bébé Pierre est né », se remémore Mariam, installant l’enfant encore ensommeillé sur ses genoux. « Tout comme moi ! » se réjouit Gérard Renoux, désignant deux billes rondes sortant du pagne de la mère. « Lui dans un camion de pompier, moi dans une maison. Mais on est frères et désormais concitoyens ! » conclut l’édile, la voix couverte par un joyeux brouhaha.

Depuis les fenêtres mi-closes de l’appartement, des cris d’enfants montent jusqu’à la salle de séjour. C’est l’heure de la récréation dans l’école mitoyenne de la mairie. En septembre, deux des enfants de Mariam et Kawsar, Imran et Haroun, sont venus grossir les rangs des classes de maternelle. « Pour La Petite-Marche, deux petits en plus, cela permet de résister face aux menaces de fermeture d’école. Et les villages alentour en profitent aussi. À Terjat, trois de leurs enfants sont inscrits en primaire. Et à Marcillat, trois autres sont scolarisés en collège », explique Roger Tripier, le premier adjoint.

S’armer de patience pour maîtriser un jour la langue française

Mais l’arrivée de cette famille – qui pourrait bientôt enregistrer la venue de la grand-mère encore retenue dans un camp – n’est pas toujours vécue comme une aubaine dans le village. « J’ai reçu un jour une carte postale pour le moins attristante, explique Gérard Renoux. Avec des mots laids qui rappellent que racisme et bêtise vont toujours de pair. Mais heureusement, c’est un exemple rare ! » Le mobilier, la télévision et l’électroménager qui entourent les invités ont été offerts par des habitants de La Petite-Marche ou des villages voisins. Tout comme les ustensiles de la cuisine, d’où le sifflet aigu d’une bouilloire annonce l’heure du thé… « La boisson des Soudanais… », rappelle dans un français approximatif Kawsar en se rendant dans la petite pièce. Un défaut de langage qu’elle et sa sœur ont bien l’intention de gommer en se rendant une fois par semaine à des cours de français langue étrangère (FLE), à Montluçon. Là encore, la solidarité, et en particulier la présence d’une assistante sociale mobilisée par Viltaïs, permet aux deux sœurs de ne pas rester enclavées dans leur petit village. « Il y a toujours quelqu’un pour nous amener en voiture, pour faire les courses par exemple. Mais moi, quand je parlerai français, la première chose que je ferai sera de passer mon permis de conduire ! » conclut Mariam, bébé Pierre fermement accroché à son sein.

Peut-être le hasard mènera-t-il alors la jeune femme sur les routes du bocage bourbonnais, à une soixantaine de kilomètres au nord-est de La Petite-Marche. Là-bas, à Ygrande, berceau d’Émile Guillaumin, l’auteur de la Vie d’un simple, portrait d’un métayer à la fin du XIXe siècle, Mariam ne manquera pas de rencontrer les descendants des paysans que dépeignait l’écrivain. Mais aussi des compatriotes du Darfour, un jeune homme venu d’Érythrée, ou encore des familles arrivées de Syrie et d’Afghanistan. À Ygrande, ils sont 16 réfugiés, demandeurs d’asile, à vivre au milieu des 780 habitants du bourg où se côtoient déjà 17 nationalités

Assis au-dessous de la Marianne rouge de la salle du conseil municipal, Pierre Thomas, le maire communiste du village, tient son rendez-vous hebdomadaire avec trois d’entre eux, accompagné de Cyril Resseguier, responsable de l’association Forum réfugiés-Cosi. « Il y a toujours eu des exilés ici, à Ygrande, explique l’élu. Dès la fin de la guerre de 1914-1918, notre village a reçu des Belges, des Hollandais, puis, dans les années 1930, des Espagnols, des Italiens et, plus tard encore, des Portugais, des Polonais. Accueillir des gens qui ne peuvent plus vivre dans leur pays, c’est dans notre ADN, c’est notre devoir et c’est celui de la République. »

Ava et son fils Bahram sont arrivés d’Afghanistan en décembre 2017. Cette famille chiite, résume à elle seule tout le labeur et la réussite de la collaboration entre la mairie et l’association Cosi, entamée fin 2015. « Contrairement aux programmes simples de réinstallation dans d’autres villages, avec des gens qui ont déjà des papiers, notre projet est basé sur l’accompagnement de demandeurs d’asile, explique Cyril Resseguier. Ici à Ygrande, un assistant social les suit dans leurs études, dans le paiement de leurs loyers et dans l’obtention d’aides sociales. » Le plus dur pour Ava sera finalement de s’armer de patience pour maîtriser un jour la langue française, condition sine qua non à l’octroi de papiers. Une difficulté que Bahram, 13 ans, en quatrième au collège de Bourbon-l’Archambault, a déjà franchie, pour la plus grande fierté de sa mère. « Nous avons survécu aux attaques des talibans, explique-t-elle, un sourire dans les yeux, alors je ne vois pas pourquoi je n’arriverais pas un jour à bien parler le français. Alors, je pourrais réaliser mon rêve de toujours… devenir pilote d’avion ! » projette la jeune femme. Une ambition qui pourra peut-être se réaliser, grâce aux travailleurs sociaux mais aussi aux habitants du village.

« J’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes »

À 500 mètres de la mairie, du côté du lotissement de la Bretonnerie, une bicyclette dévale à toute vitesse les ruelles du centre-ville. Ahmed, 27 ans, rentre chez lui une baguette sous le bras. Le jeune homme, ancien vendeur de légumes sur le marché de Kutum, au nord du Darfour, a fui le Soudan en 2015, lui aussi victime des violences perpétrées par le régime militaro-islamiste d’Omar Al Bachir. La petite maison qu’il partage avec deux autres réfugiés est une des neuf habitations à loyer modéré gérées par la commune sur les 34 répertoriées dans le village. C’est l’heure du repas. Depuis la cuisine, Tafsit, un Érythréen de 22 ans, nous raconte son histoire. « Je suis né non loin d’Asmara, j’étais dans l’armée quand j’ai décidé de fuir, relate-t-il. Je suis un chrétien fervent – je fais la prière à chaque repas – et je remercie Dieu de m’avoir amené jusqu’ici. Après avoir passé la frontière du Soudan, je suis resté dix-huit mois à Khartoum. Puis je suis parti en Libye, où j’ai failli être tué. Après, j’ai pris un bateau pour l’Italie. » S’il reste le temps qu’il faut, peut-être Tafsit pourra-t-il un jour parler un français aussi châtié que celui d’Ahmed. « Quand je suis arrivé, je ne parlais pas un mot de votre langue. Mais j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes », confie-t-il en désignant la maison située juste en face. Cette maison, c’est celle de Louisette et Gilles Mazuel, Ygrandais et militants PCF, pour qui le mot communisme est une pratique quotidienne et discrète. « C’est eux qui m’ont accueilli la première fois et qui m’ont, avec certaines de leurs connaissances, aidé à meubler la maison. Ils m’ont aussi procuré les outils pour le jardin », se souvient Ahmed, passant devant une petite parcelle de terre, avant de traverser la rue.

Attablés devant un plateau apéritif, Gilles et Louisette accueillent le jeune homme comme leur fils. « Il y a deux ans, Ahmed est arrivé avec cinq autres réfugiés, explique l’ancienne institutrice, et nous nous sommes mis au travail. Régulièrement, plusieurs fois par semaine, je leur ai donné des cours de français, en complément. Aujourd’hui, je m’occupe aussi du petit Bahram. Mais je ne me concentre plus que sur une ou deux personnes. » Cette transmission du savoir par la solidarité n’aura pas été vaine. En janvier, après deux ans et demi passés à Ygrande, le jeune homme quittera le village pour Clermont-Ferrand. Il y a deux mois, Ahmed a obtenu un titre de séjour de dix ans. En juin, il passera un diplôme d’accès universitaire (DAU) lui ouvrant les portes d’études supérieures, avec en tête un projet bien défini : « Devenir interprète et pouvoir aider à mon tour les exilés du monde entier. »

(1) Des milices arabes locales armées, utilisées par le gouvernement central pour faire régner la terreur dans les régions rebelles.
Stéphane Aubouard
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